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Des Algériens en quête de nationalité française

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Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, en particulier TikTok, laissent imaginer qu’il suffit, pour des Algériens, de retrouver la preuve de nationalité française d’un parent pour l’obtenir soi-même ou accélérer un dossier de naturalisation en cours.
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Capture TikTok

« Si vous êtes né en France avant 1963 ou si un de vos ancêtres a été français, vous pouvez facilement demander la réintégration dans la nationalité française », telle est en substance la promesse de plusieurs vidéos qui fleurissent sur les réseaux sociaux depuis ce printemps. Elles s’adressent, en langue arabe, à des personnes d’origine algérienne, qui imaginent que leur avenir serait plus radieux si elles devenaient françaises.

Ces vidéos sont tournées dans divers lieux emblématiques de notre capitale et aussi aux Archives nationales, sur le site de Pierrefitte. Le commentaire, laisse imaginer qu’il suffit de retrouver la preuve de nationalité française d’un parent pour l’obtenir soi-même ou accélérer un dossier de naturalisation en cours. Dans la plupart des cas, malheureusement, la découverte de ce document est vaine.

Car il faut savoir qu’avant l’indépendance du pays, tous les Algériens disposaient de la nationalité française, mais avec des statuts différents les uns des autres. En 1962, les individus soumis à la loi musulmane ont perdu la nationalité française au profit de la nationalité algérienne, sauf ceux qui ont souscrit à une déclaration de reconnaissance avant le 22 mars 1967 (en vertu de l'ordonnance du 21 juillet 1962). Autrement dit, même si votre grand-père a été français lorsque la France avait fait de l’Algérie un département de son territoire national, s’il n’a pas souscrit explicitement à cette ordonnance après l’indépendance, c’est comme s’il n’avait jamais été français.

Depuis la parution de ces premières vidéos, les courriers postaux ou électroniques se sont faits sans cesse plus nombreux auprès des Archives nationales, mais aussi de nombreux généalogistes professionnels ou encore de la rédaction de La Revue française de Généalogie. Des officines peu scrupuleuses ont même organisé des déplacements physiques des demandeurs, jusqu’à Pierrefitte-sur-Seine, dans l’objectif de ne rentrer en Algérie qu’en possession du fameux sésame. Certains jours, entre 20 et 30 personnes pouvaient faire la queue devant les Archives nationales pour formuler leur requête. Certaines d’entre elles revenaient même plusieurs fois de suite, dans l’espoir de rencontrer un autre agent car elles n’étaient pas satisfaites de la réponse qui leur avait été donnée par le premier qui les avait renseignées…

L’ampleur prise par ces demandes a donc nécessité la mise en place de mesures spécifiques aux Archives nationales (lire à ce sujet ci-dessous l’interview de son directeur, Bruno Ricard).

Neuf mois après le début de la vague de questions sur la réintégration dans la nationalité française de certains Algériens, et comme ce sujet dépasse largement le seul cadre des Archives nationales, le service interministériel des Archives de France pilote actuellement la conception d’un « chatbot » sur le sujet. Son ouverture est prévue dans quelques semaines, nous y reviendrons plus en détail dès qu’il sera fonctionnel.

Interview de Bruno Ricard, directeur des Archives nationales

Les demandes de ressortissants algériens pour obtenir des preuves de nationalité française d’un de leurs ancêtres ne sont pas récentes, mais dans quelle proportion estimez-vous qu’elles ont augmenté ?

Les demandes de ressortissants algériens sont à la hausse tendancielle sur les dix dernières années. La voie majoritaire est celle du courrier postal (3 200 courriers traités en 2022), elles ont été multipliées par trois entre 2014 et 2022 ; les demandes qui nous parviennent par la Salle de lecture virtuelle ont, elles aussi, augmenté durant le même temps.

Quant aux venues physiques des demandeurs, elles étaient accompagnées prioritairement par la tenue d’un « guichet citoyen » chaque lundi après-midi à Pierrefitte, de 2013 jusqu’à la crise de la Covid-19. Néanmoins, il y a toujours eu des demandeurs qui ont été accueillis et guidés en salle des inventaires hors de cette plage spécifique, samedis compris. Le nombre de demandeurs venus sur site, qui n’était que de 10 à 20 personnes en moyenne par semaine jusqu’en mars 2023, avec des variations aléatoires, a augmenté jusqu’à une soixantaine par semaine, à partir de mars 2023, suite à la publication de vidéos successives sur le réseau social TikTok.

Ces vidéos induisent-elles en erreur ceux qui les regardent ?

La teneur de ces vidéos est variable. Elles recommandent toutes de se déplacer aux Archives nationales à Pierrefitte et mettent en avant la qualité du service d’orientation qui y est prodigué. Elles insistent parfois sur le fait qu’on pourrait y retrouver des preuves de nationalité et les dossiers de naturalisation des ascendants des demandeurs ou de leurs « parents » au sens large ; sans y mettre de préalable ou de condition, elles nourrissent de faux espoirs. Cas extrême, l’une de ces vidéos va jusqu’à laisser croire que les Archives nationales pourraient instruire des demandes de naturalisation ; là, nous nous trouvons en pleine désinformation.

Les demandeurs savent-ils vraiment ce qu’ils souhaitent obtenir ?

Oui, les demandeurs viennent avec des informations personnelles (état civil, carnet militaire, etc.) pour retrouver la trace d’une personne dans les fichiers et les listes de naturalisés ou des dossiers de demande de naturalisation. Ils veulent savoir accessoirement si les Archives nationales détiennent les dossiers militaires des personnes recherchées.

Un nombre très minoritaire de demandes débouche sur la consultation ou la reproduction d’un dossier de naturalisation, notamment pour la période du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Il n’est pas égal à zéro. Ce qui entretient inévitablement les attentes de l’énorme majorité des demandeurs.

Cette situation a-t-elle nécessité une formation spécifique des agents ?

Les agents assurant les présidences des salles des inventaires sont formés depuis l’ouverture de Pierrefitte en 2013. L’ensemble de nos fiches explicatives sur les fonds d’archives, l’historique de la naturalisation en France ou les organismes publics vers lesquels se tourner en France et en Algérie a été mis à jour à l’occasion de cette recrudescence de demandes, avec un affichage donnant les réponses aux questions les plus fréquentes.

Des formations à ces outils ont été données dans la foulée de leur mise à jour. La liste nominative des personnes ayant acquis ou perdu la nationalité de 1900 à 1969 est désormais consultable sous format PDF sur plusieurs ordinateurs accessibles dans la salle des inventaires. L’accès direct à la ressource et à l’information est la clé de la confiance et une aide à la conduite des recherches familiales.

Quels sont vos moyens d’action pour endiguer le phénomène sans donner l’impression d’une fin de non-recevoir ?

En réponse, nous avons choisi la voie de la pédagogie. Des informations précises ont été affichées, sont répétées au téléphone ou en salle, sur l’aide que les Archives nationales peuvent accorder aux demandeurs gratuitement. Le fait de rendre librement accessibles le plus d’informations possible et de rendre autonomes les demandeurs sur place et à distance sont les moyens d’action les plus efficaces pour faire face à cet afflux, en favorisant en outre la circulation de l’information sur ce que les Archives nationales détiennent réellement pour répondre à cette demande sociale ; également sur ce qu’elles ne détiennent pas et ne peuvent pas faire. C’est dans ce cadre qu’une infographie didactique a été conçue, traduite en anglais et en arabe et diffusée sur les réseaux sociaux pour indiquer aux demandeurs les services compétents, en France et en Algérie, selon la nature de la demande.

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naturalisation_et_preuves_de_nationalite_a_qui_sadresser_version_en_langue_arabe

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