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Les maisons de correction

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Il n’est pas rare que les enfants soient enfermés dans des cages comme à Aniane.
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De tous temps, la justice a dû gérer la question de la délinquance juvénile entre répression et éducation. Ce n’est qu’à partir du début du XIXe siècle (1819) qu’une ordonnance royale décide de séparer les mineurs des adultes dans les prisons. Ainsi, en 1836, Louis-Philippe inaugure la prison pour mineurs de la Petite-Roquette.

Depuis 1810, le Code napoléonien distingue le mineur discernant du non-discernant : c’est-à-dire responsable ou non responsable. Cette louable intention révèle vite toute sa perversité : un mineur reconnu coupable et responsable de ses actes écope de quelques années de prison tandis que celui reconnu non responsable peut rester enfermé en « maisons de correction » jusqu’à sa majorité c’est-à-dire jusqu’à l’âge de 21 ans ! Beaucoup préfèrent une peine de prison à la « vingt et une ».

Une prise en charge spécifique

C’est à partir des années 1830 que l’État décide de traiter de manière spécifique la délinquance des mineurs, en partant du constat que la prison ne peut être l’unique solution pour ces derniers. L’État favorise ainsi la création de centres de rééducation publics ou privés. Les jeunes filles sont, pour la plupart, prises en charge au sein de congrégations religieuses telles que le Bon Pasteur. À partir des années 1830-40 ouvrent les premières colonies agricoles pénitentiaires, appelées communément "Maisons de corrections" ou "de redressement". En 1840, la première à ouvrir ses portes sera la colonie de Mettray dans l’Indre et Loire.

Pour la justice, l’objectif est de trouver une peine alternative à la prison. Au sein de la classe dominante, émerge l’idée d’éloigner les jeunes délinquants des villes, considérées comme tentatrices et pervertisseuses, puis de leur permettre de s’amender par le travail physique aux champs et la discipline, de leur donner une chance de rédemption par le retour à la nature. Bref, de les remettre dans le « droit chemin », afin qu’ils retrouvent un comportement conforme aux règles de la société et de la morale. La réalité va s’avérer toute autre, et cette profession de foi sera vite abandonnée, cédant la place à une logique d’exclusion et de répression.

Une discipline de tous les instants

Qu’entend-on par délinquance juvénile ? Le plus souvent, ce sont des enfants coupables de petits délits tels qu’un simple vol de nourriture à l’étalage, des enfants placés en famille d’accueil au comportement indiscipliné ou bien encore sur simple demande des familles. On y enferme en outre les gosses des rues : fugueurs, vagabonds, petits mendiants, jeunes prostituées. Tous cohabitent avec d’authentiques délinquants coupables des crimes les plus variés.

Ainsi dans la commune de Cintegabelle, en Haute-Garonne, le curé dépose une plainte contre un garçon de 12 ans. Ce dernier lui a manqué de respect : le garçon n’a pas retiré sa casquette et a tenu tout en fumant des propos irrespectueux lors du passage d’une procession. Le garçon « prend » deux ans de maison de correction pour « trouble à l’ordre public sur le parcours d’une procession et pendant l’exercice du culte ».

À Mettray, on fait la prière huit fois par jour. Aux repas, on écoute la lecture d’un roman de la Bibliothèque rose. Les toilettes ? On ne peut y aller que deux fois par jour, à heure fixe. La devise du directeur, Demetz : « Améliorer l’homme par la terre et la terre par l’homme ».

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Portrait de Frédéric Auguste Demetz, fondateur de la colonie agricole et pénitentiaire de Mettray. Gravure parue in Le Monde Illustré n°866 du 15 novembre 1873.
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Après des journées de 12 à 13 heures de travail par jour, la scolarité est réduite à quelques rudiments de calcul et de lecture : c’est suffisant pour être paysan. Pourtant, ce n’est pas un lieu fermé : on peut s’en évader très facilement. Lorsqu’il y a une évasion, la population alentour s’adonne à la chasse à l’enfant, avec chiens et fusils : une prime de 50 francs est allouée à celui qui ramène un évadé. Cela devient une industrie locale. À la fin des années 1930 éclate une révolte, les enfants mettent le feu aux bâtiments, des gardiens sont tués. 63 colons sur 300 écoperont de dix ans de prison.

En règle générale, le lever a lieu à 6 heures du matin. Le petit déjeuner est composé d’un simple morceau de pain. Puis les colons partent à pied aux champs pour une journée de labeur de 8 à 12 heures, avec interdiction de se parler. À midi, un plat de légume avec du pain, le soir de la soupe.

En 1885 ouvre à Aniane, dans l’Hérault, une colonie appelée à devenir tristement célèbre. On s’est avisé depuis trente ans de l’échec de l’amendement par le retour à la terre. Cette colonie sera donc industrielle : la main d’œuvre est peu coûteuse car non payée. On y ouvre dans un premier temps un atelier de bonneterie, de cartonnerie et d’ébénisterie. Par la suite s’ouvriront des ateliers de cordonnerie, de tonnellerie et de taillanderie. On y travaille de 7 heures à 11 heures, puis de 13 heures à 17 heures pour ensuite aller en classe, à soixante-cinq élèves. Ce sont des sous-officiers vétérans de la guerre 14-18, des emplois réservés, qui assurent les cours. Au fil du temps, les abus et les mauvais traitements forge la réputation de l’établissement, ce qui aboutira à une révolte en 1938.

La Bretagne connaît plusieurs institutions agricoles. Celle de Belle-Île-en-Mer, dans le Morbihan, fondée en 1880, acquiert rapidement une réputation terrible. Agrandie en 1902, la colonie pénitentiaire comptera jusqu’à 320 détenus, âgés de 13 à 21 ans.

La colonie de Belle-Île, du fait de son insularité, a avant tout une vocation maritime même si une colonie agricole y est présente. Elle a pour objectif de former des mousses et des marins, que ce soit à la pêche, au commerce ou pour la « Royale ». On y trouve quatre sections : matelotage et timonerie, voilerie et filets, garnitures, corderie. En 1900, s’ajoute une annexe d’une usine de sardinerie voisine. L’origine des enfants étant essentiellement citadine, la vocation n’est pas évidente. En raison de la dureté de la mer dans cette région, on installe dans la cour le « Ville du Palais », un navire fixe de 23 mètres équipé de mâts et de voile. Ainsi, les enfants peuvent en théorie apprendre les métiers de la mer sans danger, notamment celui de gabier. Si la mer est là, toute proche, elle est invisible du fait des hauts murs d’enceinte.

Comme le navire est trop petit pour accueillir tout le monde, grimper en haut des mâts pour apercevoir la mer devient une récompense. La section maritime est dirigée par un capitaine assisté de marins surveillants. On y enseigne la théorie, puis la pratique sur le navire fixe. Enfin, en pleine mer sur des barques, on apprend la pratique de l’aviron, de la voile et la pêche autour de l’île. Les colons les plus avancés servent de tuteurs aux nouveaux. On n’oublie pas pour autant la pratique de la gymnastique et les exercices militaires. L’engagement volontaire dans l’armée et dans la marine est présenté aux jeunes gens comme la plus belle récompense du mérite et de la bonne conduite. En 1896, la colonie fait l’acquisition de la Sirena, une goélette pouvant accueillir vingt jeunes en plus du capitaine et de deux surveillants. Ainsi, l’été est consacré à la pêche au thon pour les plus avancés.

La terrible colonie d’Eysses

Les plus récalcitrants, ceux qui sont renvoyés des autres colonies, sont accueillis dans les maisons de Clermont pour les filles, et de Gaillon et Eysses pour les garçons. En 1895, l’ancienne maison centrale d’Eysses devient colonie correctionnelle pour mineurs : il s’agit d’y envoyer les fortes têtes des autres colonies. Une seconde colonie correctionnelle est ouverte en 1908 près de Gaillon. Elles dépendent du ministère de la Justice, avec à leur tête un directeur et des gardiens. Un contrôleur du ministère est chargé, en principe, de veiller sur les intérêts des colons. Plus tard, on y adjoint un détachement de soldats. On y trouve également un instituteur, mais c’est souvent un gardien qui remplit, plus ou moins, ce rôle. Elles accueillent ainsi les plus rebelles, les transférés de structure en structure, ceux qui ont écopé des plus lourdes peines : il s’agit de mater les fortes têtes. Lors des déplacements, les enfants sont menottés. L’absence d’hygiène et la violence omniprésente vont susciter de nombreuses révoltes.

Si, en 1927, un décret rebaptise la colonie en MES (maison d’éducation surveillée) dans les faits, la situation carcérale reste la même. À chaque manquement au règlement correspond une punition :

  1. Le pain sec de quatre à quinze jours, avec tous les quatre jours une gamelle de bouillon ou de légumes.
  2. Le cachot de huit à quinze jours avec un régime alimentaire identique.
  3. La salle de discipline, une sanction terrible : de huit jours à un mois et demi. Le gosse doit marcher de six heures du matin à huit heures du soir sur une piste étroite, en sabots, en alternant quinze minutes de marche et quinze minutes de « repos ». Tous ont les pieds en sang et partent à l’infirmerie. Lorsqu’ils en sortent, ils doivent terminer leur peine.
  4. La punition des fers de quatre jours à un mois : enfermé au cachot, le gosse a les pieds et les mains menottés. Raffinement suprême, on attache parfois pieds et mains derrière le dos reliés à une corde. Il faut manger et faire ses besoins sans être libéré. Le puni reste dans ses excréments jusqu’à la fin de sa peine. À Eysses existe une ancienne oubliette : on descend le gosse au bout d’une corde et on le remonte pour voir s’il peut supporter le supplice huit heures de plus. Parfois, on remonte un cadavre.

L’exploitation est féroce. Les enfants sont astreints au travail pour le bénéfice d’un concessionnaire qui a obtenu le marché. Ce dernier envoie de plus un contremaître surveiller les travaux. Comme ils ne sont pas payés, les enfants doivent accomplir une quantité de travail déterminée par le directeur. À défaut d’avoir effectué la quantité de travail prévue, ils encourent les peines citées plus haut.

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Mettray est une des premières colonies pénitentiaires à ouvrir. Vue intérieure en 1885.
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Des punitions terribles

Dans ces institutions, chaque manquement à la discipline est sanctionné : cachot, pain sec, station en piquet sur les genoux, etc. Théoriquement, les punitions physiques sont interdites, mais elles sont monnaie courante : coups de ceinture, coups de poing, voire sévices sexuels. En outre, la violence est omniprésente entre les colons : les plus vieux, ou les plus forts, avec parfois la complicité des gardiens, font régner un climat de terreur : tous les excès y ont lieu. À Aniane, on installe des cages pour y faire dormir les colons qu’ils soient punis ou non.

En 1910 éclate une révolte des enfants à Vermiraux, à côté de Carré-les-Tombes, dans le Morvan. L’opinion publique découvre des enfants privés de soins, de nourriture, vivant dans des conditions d’hygiène à peine imaginables. L’affaire fait grand bruit : c’est la première fois qu’on écoute des témoignages d’enfants et que des responsables sont condamnés par la justice à de la prison ferme, à l’été 1911, pour maltraitances ayant entraîné la mort, le viol, et la prostitution.

À Belle-Île, les récalcitrants sont soumis à une punition terrible appelée « le bal » : dans l’un des bâtiments, on trouve une piste ovale située à 30 cm au-dessus du sol. Les punis doivent courir sur cette piste pieds-nus, des heures durant. En cas de chute, ce sont les coups qui pleuvent. Une autre variante consiste à remonter un escalier de cinquante marches avec un sac de trente kilos de sable ou de galets.

Dans les années 1920, la presse (Le Petit Journal illustré du 30 août 1908) relate une révolte tragique survenu à Belle-Île : « Ce sont quatre de ces derniers (colons), les nommés Seibaud, Gicquel, Gerhard et Gouzempis, qui se sont rendus coupables du crime horrible dont il s’agit. Un de ces derniers jours, une embarcation de la colonie, montée par huit détenus et le surveillant Burlut poussait au large pour une séance d’école de nage. L’embarcation évoluait à une certaine distance de l’île, quand tout à coup, et alors que rien ne faisait prévoir leur acte, quatre détenus se jetèrent sur le surveillant Burlut, qui était à la barre, et le frappèrent d’abord à coups d’aviron. Une lutte terrible s’engagea. Le surveillant essaya de se défendre contre ses agresseurs qui continuaient à le frapper avec une sauvagerie révoltante, sous les yeux des autres détenus qui assistaient impassibles à ce drame épouvantable, sans rien tenter en faveur du malheureux surveillant. Celui-ci eut le crâne défoncé d’un coup de barre de gouvernail. L’infortuné, presque agonisant, luttait encore et se débattait quand il fut soudain saisi par ses bourreaux et pendu à la drisse du mât. Lorsqu’il fut mort, les assassins ordonnèrent à leurs codétenus de faire route vers la terre, et ils débarquèrent à un endroit appelé « le Rocher ». Ils prirent aussitôt la fuite. Dès que le crime fut connu, la troupe fut réquisitionnée pour se mettre à la recherche des criminels. Ceux-ci ont été arrêtés, et écroués à la prison de Lorient. »

À Belle-Île, en août 1934, un enfant a osé manger un morceau de fromage avant sa soupe. En représailles, il subit un terrible passage à tabac de la part des surveillants. Une émeute éclate, 55 pensionnaires s’évadent : la chasse à l’enfant est ouverte. Habitants et touristes touchent une prime de 20 francs pour chaque enfant capturé.

Une prise de conscience nationale

À partir des années 1850, sous l’impulsion de l’État, de nombreuses colonies agricoles voient le jour. C’est un véritable boulevard offert au secteur privé qui voit là l’opportunité d’employer une main-d’œuvre gratuite : en 1865, sur 63 colonies, 55 sont privées pour seulement 8 publiques. Entre violences et brimades, la nourriture insuffisante provoque de nombreuses carences alimentaires. Beaucoup d’enfants sont malades avec parfois, au bout du chemin, le suicide.

Un poème contre la violence

« (…) Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant il s’est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant (…)  »

Jacques Prévert, Paroles, Gallimard, 1949

À Belle-Île, certains échappent à l’enfermement en souscrivant un engagement dans les Équipages de la Flotte, dès l’âge de 17 ans.

Comble du raffinement, une fois atteint l’âge de 21 ans, la loi de 1889 sur le recrutement prévoit leur incorporation dans les fameux « Bat d’Af » (Bataillon d’Afrique), réservés aux délinquants et fortes têtes.

Durant de nombreuses années, le scandale des colonies d’enfant ne dépasse pas le cadre local. À partir de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, la presse prend son essor. Des journaux tels que Le Petit Journal ou Paris-Soir (diffusé à 2 millions d’exemplaires) sensibilisent l’opinion nationale sur le sujet.

En 1924, le journaliste Louis Roubaud enquête sur les colonies et publie un livre : Les enfants de Caïn. Il affirme « Ces écoles professionnelles sont tout simplement l’école du bagne. Les matons de celui-là étaient particulièrement reconnus comme les plus violents, les plus barbares et les plus alcooliques de toute la France ». Dans les années 1930, un reporter va faire son combat de l’enfance persécutée : Alexis Danan se rend sur les lieux et rapporte des reportages et photos qui vont frapper l’opinion. En 1933, un film de Georges Gauthier, Gosses de misère, bagne de gosses, scandalise un très large public. En 1937, éclate le scandale d’Eysses : un jeune colon, Roger Abel, meurt à l’hôpital après avoir été astreint au pain sec et à l’eau pendant 150 jours. C’est l’affaire de trop, le garde des Sceaux visite la colonie et se voit contraint d’annoncer la fermeture des maisons de correction ce qui prendra quelques années de plus.

Eysses ferme en 1940. Belle-Île reçoit en 1945 les mineurs qui ont fait partie de l’armée allemande, notamment de la Division Charlemagne.

Après une ordonnance de 1945 sur la protection judiciaire de la jeunesse, la sortie le dimanche est autorisée et, peu à peu, l’éducatif prend le pas sur le répressif.

Il faut attendre 1970 pour que des parents ne puissent plus faire placer leur enfant sans un délit. Belle-Île ferme définitivement ses portes en 1977.

Bibliographie

  • Une enfance en enfer, Jean Fayard, Éd. Le Cherche Midi, 2003.
  • Les enfants du bagne, Marie Rouanet, Éd. Pocket, 2001.
  • Les Bagnes d’enfants et autres lieux d’enfermement-Enfance délinquante et violence institutionnelle du XVIIIe au XXe siècle, Paul Dartiguenave, Éd. Libertaires, 2007.
  • La révolte des enfants de Vermiraux, Emmanuelle Jouet, Éd. L’Œil d’Or, 2011.
  • Exposition en ligne sur le site CriminoCorpus présentant notamment la colonie de Saint-Hilaire.
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