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Archives algériennes, les propositions de Benjamin Stora

Entre l'Algérie et la France, la question des archives est un vieux contentieux, bloqué depuis des décennies. Dans son rapport remis à Emmanuel Macron pour "réconcilier les mémoires et les peuples français et algériens", l'historien Benjamin Stora fait le point sur la situation. L'Algérie réclame la restitution de toutes les archives détenues par la France et se rapportant à plusieurs périodes de son histoire. De son côté, la France fait une distinction entre archives de souveraineté, transférées en France après 1962 et archives de gestion, laissées sur place.

Les archives de souveraineté sont des archives produites par la haute administration et des archives régaliennes (diplomatie, Défense, Justice, sécurité, etc.), le tout produit par les gouverneurs, leurs cabinets, dans une moindre mesure leurs subordonnés directs, préfets et sous-préfets, administrateurs, certains services comme la police, les juridictions pénales si intéressantes pour leurs archives relatives à la guerre d'Algérie. Se trouvent également en France, les archives relatives à la colonisation foncière, qui concernaient directement la population rapatriée.

Les archives de gestion sont en revanche demeurées en Algérie, nécessaires au nouvel Etat pour gérer son territoire et sa population : cadastre, services de l'agriculture, industrie, transports, équipement et urbanisme, chambres de commerce et d’artisanat, ports, administrations sociales et de santé, hôpitaux, administrations et établissements scolaires et universitaires, tribunaux civils, notaires, municipalités... L’état civil est également demeuré en Algérie. La France a fait microfilmer après l’indépendance les deux-tiers de l’état civil, concernant majoritairement les Européens. Aujourd’hui numérisé, cet état civil est consultable sur le site des Archives nationales d'Outre-Mer pour les actes de plus de cent ans. Les Archives nationales ont promis de faire numériser le tiers restant.

Benjamin Stora propose de continuer à restituer à l'Algérie les dernières et rares archives de gestion emportées en France par erreur. Il suggère de transmettre aux archives nationales algériennes, l’ensemble des fonds déjà numérisés. Mais la vraie question est celle de l'accès aux archives qui est si difficile pour certaines périodes, de part et d'autre de la Méditerranée. En France, nombre d'historiens se plaignent de l'Instruction générale relative au Secret Défense IGI 1300, pour certains, même la nouvelle mouture datant de novembre 2020 ne va pas assez loin. Benjamin Stora propose d'élargir les critères de déclassification "au carton" à l'ensemble des archives relatives à la guerre d'Algérie.

L'accès aux archives de l'Algérie souffre aussi d'un gros problème, celui de la méconnaissance des fonds. En effet, si les archives rapatriées à partir de 1961 en France et conservées aux archives nationales d’outre-mer, représentent aujourd’hui environ dix kilomètres linéaires d’archives, on ne sait pas estimer le volume du grand nombre d’archives restées en Algérie. Le rapport Stora propose de mener une estimation, en collaboration avec les archivistes algériens à partir des bordereaux de versement de fonds transférés, des rapports des directeurs des services d’archives en Algérie jusqu’à l’indépendance.

Enfin, reste un épineux problème, celui de l'accès aux archives en Algérie. Les archives de gestion - restées sur place- sont pratiquement non consultables. Toutes les archives portuaires, médicales, universitaires, financières, départementales, municipales, plus celles de la Justice, du notariat et du cadastre sont difficilement accessibles aux chercheurs français. La copie de l'état civil disponible sur le site des ANOM est incomplète, il en manque un tiers et les registres originaux de l’état civil sont restés en Algérie.

Pour l'historien, il s'agit d'un patrimoine commun qui intéresse autant les Français que les Algériens. Dans ces conditions, les restitutions devraient être étudiées au cas par cas, par fonds, par séries et même par sous-séries : "Même si cela contredit le principe archivistique fondamental de respect des fonds, je pense personnellement que ce principe peut être dépassé par celui de bien culturel commun que l’on peut partager. Il s’agit d’un héritage à partager entre héritiers", explique Benjamin Stora dans son rapport.

En Algérie, le sujet est tabou et la seule position exprimée est celle de la restitution. Toutefois, certains historiens algériens, comme Hosni Kitouni, cité dans le rapport Stora, plaident pour plus de clarté : "Que voulons-nous récupérer ? Les 600 tonnes ? Une partie seulement de ces archives ? Lesquelles ? Sous quelle forme ? Les originaux ou les copies et sur quel support ? Qui fait le tri ? Qui paie les charges induites... C’est un travail considérable qui doit s’étaler sur des années et coûter très cher. Il faut que nous fassions à la France des propositions techniques".

En conclusion de son rapport, Benjamin Stora plaide pour la reprise des travaux du groupe de travail algéro-français conjoint sur les archives, constitué en 2013 qui ne s'est plus réuni depuis 2016. Il devra faire le point sur l’inventaire des archives emmenées par la France, et laissées par la France en Algérie. Sur la base de ce travail d’inventaire, certaines archives seraient récupérées par l’Algérie. Celles laissées en Algérie pourront être consultées par les chercheurs français et algériens. Un Comité de pilotage pourrait proposer la constitution d’un premier fond d’archives commun aux deux pays, librement accessible.

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