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Aryennes d’honneur

Marie-Louise, sa soeur Lucie et leur cousine Suzanne sont toutes trois mariées à des aristocrates. Elles vivent dans le Paris de la première moitié du XXe siècle et leur quotidien est fait de bals costumés, de chasses à courre et de réceptions données dans leurs hôtels particuliers où se presse tout le gotha. Mais, en juin 1940, leur vie bascule avec l’invasion allemande. Car si elles ont épousé des catholiques, personne n’a oublié qu’elles sont nées dans une riche famille de banquiers israélites, les Stern. Au regard de la loi, Marie-Louise de Chasseloup-Laubat, Lucie de Langlade et Suzanne d’Aramon sont désormais considérées comme juives.

Se pose alors la question du choix : quand on compte le maréchal Pétain parmi les proches amis de sa famille, faut-il flatter le régime de Vichy pour échapper à son destin ? Faut-il au contraire se battre contre la tyrannie ? Faut-il fuir ? Adossée à des faits réels, Aryennes d’honneur est une saga familiale qui nous plonge dans les heures les plus sombres de l’Occupation.

Trois questions à Damien Roger

Avec Aryennes d’honneur, Damien Roger signe son premier roman. Ce passionné de généalogie, né en 1987 et ancien élève de l’ENA, est aujourd’hui haut fonctionnaire au ministère de la Culture.

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Damien Roger, auteur de "Aryennes d'honneur" (Privat).
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Vous avez choisi d’écrire un roman et non pas un essai historique. Comment imaginer une histoire sans trahir la réalité des faits, surtout pour une période si délicate ?

La question des exemptées du port de l’étoile jaune n’avait jusqu’à présent fait l’objet d’aucune étude historique ni d’aucune publication de fiction. Comme pour tout travail généalogique, je suis parti à la recherche de ce passé disparu afin de reconstituer les morceaux épars d’un vaste puzzle. Si dans ce projet la précision biographique et historique constituait un préalable et une exigence nécessaires, très vite je me suis rendu compte que l’enjeu était ailleurs. La dimension psychologique de cette histoire m’est rapidement apparue comme fondamentale en raison du caractère tout à fait extraordinaire du parcours de ces trois femmes. Elles vivent en effet une situation de déracinement identitaire très forte, que l’on pourrait presque qualifier de schizophrénique : leur trajectoire les a conduites à se détacher de leur identité juive, à l’effacer pour faire corps avec leur nouveau milieu qui, s’il les a accueillies pour leur fortune, les rejette en même temps pour leurs origines. Elles demeurent ainsi des intruses marquées par une tâche originelle indélébile. Cette question du déchirement identitaire, de l’écart social, de la difficulté d’être de plusieurs mondes sociaux à la fois et des implications politiques que cela engendre constituent les questionnements de fond de cet ouvrage. Seule la forme du roman permettait de rendre compte du vécu intime des protagonistes. L’enjeu était donc de conjuguer précision biographique et souffle romanesque afin de partager avec le lecteur, historien ou non, l’atmosphère, la vie, l’époque, les dilemmes et les paradoxes de ces trois femmes.

Comment fait-on pour s’immerger dans la tête de trois femmes nées dans les années 1900 quand on est un homme né près d’un siècle plus tard ?

Respecter la véracité psychologique des personnages et des situations était pour moi fondamental. J’ai beaucoup lu – des témoignages mais aussi des oeuvres de fiction contemporaines – pour m’imprégner des époques traversées dans mon récit.
Je reproche trop aux romans et aux films historiques d’aujourd’hui de plaquer des schémas de pensées et des manières de parler contemporains à des personnages du passé. Je voulais absolument éviter cet écueil. Le rôle de l’auteur de roman historique n’est pas de projeter des questionnements du présent sur les évènements passés mais de parvenir, par le biais de la narration, à nous ouvrir les portes d’un monde qu’on croyait disparu. Il s’agissait ainsi de rendre sensible au lecteur le souvenir d’un univers depuis longtemps effacé. C’est pourquoi j’ai apporté un soin tout particulier aux dialogues : une jeune fille de la haute société 1900 ne s’adresse pas à sa mère comme le ferait une jeune fille aujourd’hui. Par ailleurs, il n’était pas question pour moi de plaquer sur mes personnages les préoccupations sociétales du XXIe siècle. Cela ne signifie pas que ces questionnements (sociaux, féministes, etc.) sont absents du livre, mais simplement ils sont traités dans un contexte historique et social donné, dans un souci de véridicité.

Quels sont les documents d’archives que vous avez utilisés pour construire votre récit ?

Cette enquête a nécessité de mobiliser des documents provenant de sources assez diverses : archives de la préfecture de police de Paris, archives nationales (pour les documents relatifs au maréchal Pétain), archives départementales (notamment de l’Oise car les protagonistes y avaient leurs résidences secondaires) ou encore archives du mémorial de la Shoah. Si l’archive historique a constitué le matériau de base, je me suis aussi beaucoup appuyé sur des sources plus littéraires pour faire le lien avec le travail de romancier et dépasser le stade de l’essai historique. J’ai souhaité aller au-delà de l’approche macro-historique, au profit d’une démarche intime et psychologique. La littérature qui traite de la période de l’Occupation a constitué une source d’information très importante. Enfin, ma troisième source d’inspiration est davantage sociologique. J’ai été très marqué par le travail de Chantal Jacquet et Didier Éribon qui abordent la question de la trajectoire sociale. Leurs ouvrages m’ont apporté les clés pour comprendre les mécanismes sociaux de domination sociale, de rejet, de haine de soi que j’aborde dans mon roman.

 

Références

Aryennes d'honneur, Damien Roger, Privat, février 2023, 366 pages, 22,90 €, ISBN : 978-2-7089-0259-6

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