Il n'y a pas de droit d'auteur pour la paléographie...
La paléographie n'est pas protégée par le droit d'auteur ! C'est en tous cas le sens d'une décision de justice décortiquée par le juriste et bibliothécaire Lionel Maurel (Calimaq) sur son blog Sci-Lex. Le 27 mars dernier, le tribunal de Grande Instance de Paris a rendu un jugement insolite dont l'élément principal est la paléographie. L'affaire est insolite par son sujet, l’édition de manuscrits médiévaux et aussi par le résultat du jugement : la seule paléographie ne saurait être protégée par le droit d'auteur. La décision fait bondir les archivistes-paléographes et d'une manière générale, tous ceux qui savent combien de temps l'on peut passer à déchiffrer les pattes de mouche d'un notaire du 17e siècle et a fortiori, sur la calligraphie d'un moine du moyen âge...
Et pourtant, le jugement est parfaitement éclairé, soulevant bien des questions et y apportant des réponses. Peut-on revendiquer un droit de propriété sur un travail de transcription paléographique ? Dans le cas examiné par les juges parisiens, une maison d'édition suisse se plaignait de la reprise de son travail par une maison d'édition française. Les Suisses ont été déboutés, car les textes du moyen âge sont tombés dans le domaine public depuis bien longtemps et le travail de transcription de manuscrits (qui consiste à restaurer un texte ancien en cherchant à lui être le plus fidèle possible) ne constitue pas -dans ce cas précis- une oeuvre de l'esprit.
Certes, l'éditeur suisse s'est bien vu reconnaître le travail scientifique important effectué par les paléographes. Mais ceux-ci n'ont fait qu'effectuer des choix entre plusieurs hypothèses de transcription. De plus, l'éditeur a bien joué son rôle d'éditeur en modifiant la présentation en ajoutant des espaces, des majuscules, en créant de paragraphes pour faciliter la compréhension du texte. Las, les juges ont estimé que ces éléments ne peuvent être protégés par le doit d'auteur parce qu'ils ne dégagent aucun élément d’originalité, le paléographe et l'éditeur n'ayant pas cherché à faire oeuvre de création, mais de restauration et de reconstitution.
Lionel Maurel se félicite de cette décision car elle lutte contre les pratiques de copyfraud, c’est-à-dire la revendication abusive de droits sur le domaine public. "Sur la base d’un tel jugement, qui est formulé de manière relativement générale et comporte une analyse détaillée du travail d’édition de textes anciens, on voit bien qu’il ne doit plus être possible dorénavant de revendiquer de droits d’auteur sur une transcription scientifique", explique t-il.
Du côté des généalogistes, cette décision prend une autre dimension et aborde une question souvent soulevée par les chercheurs d'ancêtres : à qui appartient un arbre généalogique ? La Revue Française de Généalogie avait demandé son avis en 2012 à Me Virginie Delannoy, avocate spécialiste de la réutilisation des données publiques. Celle-ci avait estimé que "Pour qu’il y ait un droit d’auteur, avec protection des données jusqu'à 70 ans après le décès de l'auteur, il faudrait que l’arbre présente un véritable caractère original, ce qui n’est pas aisé à démontrer. En déposant vos arbres sur des portails généalogiques, vous autorisez l’extraction ou la réutilisation d’une partie non substantielle de vos arbres, par toute personne y ayant librement accès".
Image : Extrait du Secretum secretorum (le "Secret des secrets", un traité très répandu au Moyen Âge), Album interactif de paléographie médiévale.
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