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Les dossiers des réfugiés espagnols bientôt numérisés

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Aline Angoustures et Julien Boucher, directeur général de l’Ofpra, devant le fichier espagnol.
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Ofpra

L’Ofpra et le ministère espagnol de la Culture ont signé une déclaration d’intention, en janvier dernier, pour numériser les archives de l’office français concernant les exilés espagnols. Précisions de Aline Angoustures, cheffe de la mission Histoire et Exploitation des archives à l’Ofpra.

L’Ofpra annonce la numérisation des documents concernant les exilés espagnols. Quel est le contexte de cette opération ?

C’est une demande de l’Espagne qui, en octobre 2022, a adopté une nouvelle loi sur la mémoire démocratique. Elle comporte d’importantes dispositions sur les archives de l’exode espagnol, sur la protection des fonds et leur centralisation.

L’Espagne considère désormais que les exilés de la guerre civile sont des victimes du franquisme et que ceux qui avaient perdu leur nationalité, ou leurs descendants, peuvent la récupérer. Donc des enfants d’exilés espagnols nés en France sont concernés par cette mesure. Cette loi, c’est aussi une reconnaissance de la persécution.

L’État espagnol s’engage à financer des recherches archivistiques et la centralisation des archives de cet exil, tout comme il finance les fouilles dans les fosses communes depuis quelques années en Espagne pour identifier les victimes.

C'est l'Espagne qui finance la numérisation ?

Effectivement, les Espagnols, par le ministère de la présidence et tout précisément le service de la Mémoire démocratique, vont financer la numérisation du fichier manuel. Les détails ne sont pas encore arrêtés, mais le principe est là, c’est une demande de l’Espagne et les Espagnols sont maintenant assez pressés.

Quels types de documents sont concernés par la numérisation ?

L’Ofpra dispose d’environ 140 000 dossiers de réfugiés espagnols, qui sont majoritairement des Républicains. Leur protection comme réfugiés commence en 1945 – donc les pièces les plus anciennes de nos dossiers datent de cette période – et prend fin entre 1979 et 1981, après la démocratisation de l’Espagne.

Il y a deux étapes dans notre projet : la première, c’est de numériser le fichier manuel, un fichier papier, qui comprend environ 200 000 fiches (il y a plus de fiches que de dossiers pour différentes raisons). C’est une sorte de table alphabétique avec les noms et prénoms des protégés, quelques informations et surtout les numéros qui renvoient aux dossiers eux-mêmes. Les fiches ne comportent pas de photographie ; dans un second temps, le projet vise à numériser les dossiers eux-mêmes. C’est un périmètre beaucoup plus large, puisqu'il y a quand même 140 000 dossiers contenant chacun une trentaine de documents en moyenne.

« On voit les gens évoluer, vieillir, les familles se composer, s’agrandir. On les voit aussi s’intégrer avec les professions exercées. »

Que contiennent ces dossiers ?

Chaque dossier a quasiment sa propre composition, mais systématiquement vous avez un formulaire de demande de protection ou de demande d’asile (cela a souvent changé de forme, mais c’est cette demande qui assurait la saisine de l’Ofpra ou de l’Office central pour les réfugiés espagnols). Ce formulaire est suivi d’une carte de réfugié, lorsque la personne obtient le statut, puis d’un certificat de réfugié (ce document comporte une photo). Comme ces cartes de réfugiés étaient renouvelées tous les trois ans, puis tous les cinq ans, vous obtenez une jolie collection, car pour obtenir la nouvelle carte, les réfugiés devaient renvoyer l’ancienne à l’Ofpra. On voit les gens évoluer, vieillir, les familles se composer, s’agrandir, puisque figurent les mariages et les naissances des enfants. On les voit aussi s’intégrer avec les professions exercées.

Comme l’Ofpra avait des fonctions quasi consulaires, il établissait tous les documents sauf le passeport, qui était du ressort des préfectures. Donc ces documents sont plus riches que ceux des consulats, avec l’état civil bien sûr, mais aussi des documents pour aider à l’intégration et cela pendant des années : des attestations de coutume pour dire quelle est la loi applicable, souvent des originaux d’actes de naissance, d’acte de mariage qui restent au dossier et beaucoup de correspondances, car les gens écrivaient beaucoup. On y trouve aussi quelques éléments sur l’engagement politique puisque pour les Espagnols, au début en tout cas, l’instruction du dossier de protection était fondée sur la production d’une attestation d’appartenance à un parti ou un syndicat en exil.

Qui étaient les exilés espagnols ?

Pour la protection des réfugiés espagnols, on distingue deux périodes : certains sont entrés en France en 1939, à la fin de la guerre civile, et d’autres en 1945, lorsque le statut de réfugié leur est reconnu par Genève. On leur demande alors de produire une attestation d’engagement dans un parti, le but étant avant tout de prouver qu’ils n’étaient pas des infiltrés franquistes. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, tous ceux arrivés en 1939 sont considérés comme des réfugiés, donc, en principe, on ne leur demandait plus ces attestations, mais cela pouvait quand même arriver. Dans ces dossiers de demandes d’asile, il n’y a jamais de preuves, mais parfois on demandait des éléments d’information sur la prison à des personnes arrivées beaucoup plus tard dans les années 1950, demandant s’ils avaient connu la détention ou en sortaient.

L’exil espagnol, c’est aussi un mouvement continu, car parfois les femmes et les enfants venaient rejoindre les exilés, il y a toute une immigration, parce que la guérilla a continué pendant un certain temps des deux côtés de la frontière.

Quelles seront les étapes de cette numérisation ?

Lors du sommet franco-espagnol de 2021, il avait été annoncé un peu prématurément, que les archives allaient être numérisées, alors qu’il n’y avait pas encore de projet concret à ce stade-là. Mais cette année, lors du sommet franco-espagnol qui a eu lieu en janvier, il y a effectivement eu la signature d'une déclaration d'intention entre le directeur de l'Ofpra et le représentant du ministère de la Culture espagnole pour mener à bien cette numérisation des archives de l'Ofpra.

Les fichiers seront-ils indexés ?

Oui, tout sera également indexé, les devis sont lancés. Comme les fichiers sont tapés à la machine, l’oscérisation est assez fiable. Mais ce n’est pas si simple, ce n’est pas parfaitement carré comme présentation, les informations ne figurent pas au même endroit, selon que la fiche date de 1945 ou de 1957.

Il existe d’ailleurs déjà une base de données, créée après l’informatisation de l’Ofpra en 1989, mais cette indexation est très partielle, avec juste le nom, le prénom, la date de naissance. Or, les Espagnols aimeraient avoir le lieu de naissance, la date d’entrée en France ; de son côté, l’Ofpra aimerait bien avoir aussi la dernière date du dossier, parce que cela conditionne la communicabilité. D’autres champs seront donc indexés pour enrichir tout ça.

« Une dérogation générale aurait du sens. Ce serait politiquement un geste allant dans le sens de la mémoire. »

Quels sont les délais de communication de ces archives ?

Les fiches et les dossiers contiennent des informations sensibles, par exemple l’engagement politique qui peut être mentionné sur la fiche. Les délais de communication sur ce type d’archives sont de 50 ans après le dernier document. Le problème c’est que souvent le dernier document date de 1981, donc en théorie, ces documents ne sont pas consultables avant 2031, sauf demande de dérogation. C’est pour cela que l’on pense vraiment à demander une dérogation générale. Ce serait politiquement un geste allant dans le sens de cette loi espagnole. Les Espagnols insistent beaucoup sur le fait que ces archives contribuent à la loi sur la mémoire, parce que les Espagnols ont contribué à la résistance en grande proportion et donc ces combattants font partie de la mémoire démocratique européenne et pas seulement espagnole. De ce point de vue-là, il y a un symbole fort. Une dérogation générale aurait du sens, sachant qu’il n’y a pas de crainte de persécution pour les personnes encore en vie et leurs descendants.

De quelle manière ces fichiers seront-ils mis à disposition ?

À ce stade de réflexion, il n’est pas prévu de mettre ces fichiers en ligne, car ils comportent des mentions et des données personnelles. Pour l’instant, l’idée est d’avoir une copie qui sera remise au centre de la Mémoire démocratique de Salamanque (qui centralise toutes les archives sur la guerre civile et la répression), où les chercheurs pourront les consulter et où les familles pourront demander des copies. Il y a un projet de mettre en ligne certaines informations – pas les fiches entières, parce que les autorités espagnoles sont dans cette démarche de retrouver les victimes : beaucoup de familles recherchent leurs parents, leurs ancêtres qui ont disparu à cette époque et qui peuvent très bien se trouver dans une fosse commune, mais peut-être aussi partis en exil. Donc les Espagnols aimeraient qu’on puisse chercher par le nom de famille, la date de naissance et le lieu de naissance. Mais rien n’est encore acté.

En France, quelle exploitation de ce fichier sera faite par l’Ofpra ?

C’est trop tôt pour le dire, mais si on a les éléments qui nous permettent comme les Espagnols de mettre en ligne des informations nominatives avec une base de données, nous n’excluons pas de le faire. Il existe des solutions d’accès sur inscription, les données peuvent être présentes sur une base, mais non indexées par les moteurs de recherche de type Google.

Il n’y a pas qu’en Espagne que les gens recherchent leurs ancêtres espagnols, il y a beaucoup d’Espagnols en France aussi qui recherchent leurs ascendants. Ils voudraient qu'on leur envoie les dossiers numérisés de réfugiés espagnols. Mais rien n’étant numérisé pour l’instant, c’est très difficile pour nous, qui ne sommes que trois pour faire ce genre de choses. Nous pouvons faire des recherches personnelles, mais il est impossible de faire de la numérisation à la demande pour tout le monde. Avec ces fichiers numérisés, on pourrait effectivement les mettre à disposition d’une manière beaucoup plus large.

Coordonnées

  • Ofpra, Mission Histoire et Exploitation des Archives Adresse : 201 rue Carnot, 94120 Fontenay-sous-bois Tél. : 01 58 68 17 10 Courriel : mission-histoireatofpra[dot]gouv[dot]fr Site Internet : https://archives.ofpra.gouv.fr
  • Centre documentaire de la mémoire historique Adresse : C/ Gibraltar, 2, 37008 Salamanca (Espagne) – Tél. : (34) 92 321 28 45 ou (34) 92 321 25 35 – Courriel : cdmhatcultura[dot]gob[dot]es
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