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Les Mormons, la CNIL et la généalogie : se poser les bonnes questions !

Vous avez remarqué ? Dès que l'on aborde le sujet des Mormons, cela provoque un emballement médiatique du plus bel effet. Quand le 2 juin 2013, La Revue Française de Généalogie révèle que la CNIL vient d'autoriser les Mormons à numériser et indexer l'état civil français, l'information a été reprise, amplifiée par une superbe caisse de résonance au son profond et grave. A en croire celle-ci, la souveraineté française serait presque menacée ! Quoi, cette quasi-secte va s'emparer de l'un des joyaux de la République -l'état civil français- et l'emmener aux États-Unis pour en disposer à sa guise ? Et si au lieu de brandir de vieux démons, l'on se posait les bonnes questions en disposant des bonnes informations ?

Tout d'abord, de quoi parle t-on ? D'une église d'origine américaine, l’Église des saints des derniers jours, dont les membres sont familièrement surnommés les Mormons. Malgré quelques soupçons apparus dans les années 1990, cette église est bien une église et non une secte. Son inscription sur la fameuse liste parlementaire des sectes a été retirée, les Mormons ne pratiquant qu'un discret prosélytisme. On parle également d'un accord avec le ministère de la Culture et les archives de France dont la première mouture a été signée en 1960 par André Malraux lui-même et renouvelée en 2006 par Martine de Boisdeffre. Et enfin, on parle des actes de l'état civil, qui sont une propriété publique inaliénable et insaisissable, confiée à la garde des communes et des départements (mais ici, on ne va parler que des départements qui seuls intéressent les Mormons).

Voilà, le décor est posé. Entrons à présent dans les détails. Et il y a précisément un détail qui a échappé à tous nos commentateurs : celui de la propriété des actes de l'état civil. Évidemment, il n'a jamais été question de céder un quelconque document d'archives aux Mormons, mais simplement d'examiner avec eux comment ils vont pouvoir en obtenir des copies numériques. Comment une fois ces copies numériques obtenues, ils vont pouvoir les exploiter, c'est à dire les faire lire par des milliers de paires d'yeux (mormones ou non), pour en extraire les noms, les dates et les lieux et les déposer dans une base de données. Et comment ils vont pouvoir mettre ce travail à la disposition de tous sur Internet et cela, gratuitement.

Alors que vient faire la CNIL là-dedans ? Elle a été saisie à la demande des Mormons. Pour des prédateurs des archives françaises, ils sont quand même bien prévenants... Pour la faire courte, les Mormons disposent depuis les années 1960 de microfilms de l'état civil réalisés à la suite du fameux accord avec les archives de France. Ils ont pu le faire dans tous les départements où les services d'archives ont accepté de signer un accord avec eux. La plupart des départements ont accepté de bon gré cet échange de bon procédé : les Mormons microfilmaient l'état civil et laissaient un jeu de bobine sur place aux archives départementales. Depuis les années 1960, les choses ont un peu changé, les bobines de microfilms ne sont plus guère utilisées, 86 départements ayant procédé à la numérisation de l'état civil et à leur publication sur Internet.

Mais les Mormons en étaient restés à leur dernier accord avec les Archives de France. Celui-ci ne les autorisait pas à transformer leurs microfilms (environ 70% de l'état civil français) en fichiers numériques. Dans ces conditions, impossible pour eux de publier sur Internet des actes d'état civil français. Et que croyez vous que les Mormons firent ? Et bien, ils passèrent à un autre pays et oublièrent la France pendant de nombreuses années ! Loin d'eux l'idée d'outrepasser l'accord qui les liaient aux Archives de France. Pourtant, cela aurait été si simple pour eux de passer sous le scanner ces milliers de bobines dont ils conservent un exemplaire dans leurs cavernes de Salt Lake City.

Mais revenons à la CNIL. Sa délibération du 25 avril 2013 est il est vrai peu claire pour les non connaisseurs du dossier. Certes, la CNIL autorise les Mormons à numériser et indexer l'état civil français (avec d'ailleurs tout un tas de conditions restrictives). Mais elle oublie de préciser que cette autorisation n'est que de principe. Pour pouvoir réellement numériser l'état civil français, les Mormons n'ont pas fini d'agiter leur bâton de pèlerin : il leur faut maintenant faire le tour de France des départements et obtenir leur accord, un à un ! Certains département ont déjà été approchés, mais il est fort probable que jamais la totalité de l'état civil français ne sera couvert par l’Église américaine de cette manière. Trop long et trop compliqué.

Alors, qu'est ce qui peut bien chiffonner à ce point les médias français ? Que les Mormons se servent de l'état civil pour faire leur généalogie et baptiser rétrospectivement leurs aïeux (qui sont aussi les miens, les vôtres) ? Qu'ils le fassent aveuglément et baptisent à tout-va des ancêtres de toutes religions ? Qu'ils auraient ainsi baptisé Anne Franck ? Laissons à chacun son avis sur ces questions de convictions personnelles (qui touchent non pas des vivants mais des morts, rappelons le) et laissons le mot de la fin à l'un de nos lecteurs (oui, cette affaire nous a valu beaucoup de courrier) : "Je n'aime pas fréquenter les cercles de généalogie autrement qu'en virtuel et j'ai de trop mauvaises expériences avec le bon vouloir des administrations et leur comportement souvent autoritaire. Je préfère encore qu'une secte d'illuminés me rende ce service avec le sourire et gratuitement".

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