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Réforme du changement de nom : un succès indéniable

Après s’en être abstenu durant des siècles, le législateur a osé « s’attaquer » à deux reprises ces vingt dernières années au nom de famille, un élément longtemps intouchable car juridiquement immuable.

Le premier acte daté de 2002 a permis de choisir le nom de l’enfant, entre celui du père, celui de la mère ou ceux des deux parents. Cette loi avait été proposée en invoquant notamment la nécessité d’aligner le droit français à la fois sur l’évolution de la société, avec les familles dites « recomposées », et sur les législations des autres pays européens. Portée par le député Gouzes, la loi avait provoqué beaucoup de réactions, avec des questions quant à ses modalités d’application, mal conçues et mal définies, et des craintes quant à ses conséquences. Six mois après son entrée en vigueur le 1er janvier 2005, j’avais procédé, pour La Revue française de Généalogie, à une enquête auprès de quelques mairies (à lire dans La Revue française de Généalogie n° 158, juin-juillet 2005, Premiers enseignements de l’application de la loi)​​​​, dont les résultats avaient fait conclure à un succès très relatif, la montrant utilisée par seulement 20 % des couples non mariés et 7 % des couples mariés (et davantage à Paris et dans les grandes villes qu’en province), ce que l’avenir a confirmé, puisque l’on estime que, aujourd’hui encore, 80 % des enfants continuent à porter le seul nom du père.

64 000 demandes de changement de nom

Le second acte a été l’adoption d’une procédure simplifiée de changement de nom, dictée par deux objectifs : un premier, initial, de nature émotionnelle, était de permettre à certains enfants de ne plus porter le nom d’un parent indigne (condamné notamment pour violences ou inceste…) ou avec lequel les liens socio-affectifs avaient été rompus, pour porter celui de l’autre parent ; un second était la claire volonté du Garde des Sceaux de désengorger ses services, débordés par les demandes officielles de changement de nom « pour intérêt légitime » – à raison de quelque 3 000 par an ! Des procédures lourdes qui, pour être les seules disponibles, se voyaient depuis plusieurs années couramment détournées, afin de résoudre les situations visées par le premier objectif.

Grâce à cette loi, toute personne majeure peut demander à la mairie de son lieu de naissance ou de son domicile, via un simple formulaire Cerfa, de porter le nom de celui de ses parents qui ne lui a pas été transmis, soit par substitution, soit par adjonction. Une procédure très light, dispensant de prouver un intérêt légitime, pour se contenter d’imposer un délai de réflexion et pour n’autoriser à y recourir qu’une seule fois au cours de sa vie. Votée en mars 2022, elle a provoqué de nouvelles interrogations et de nouvelles craintes.

Un an après son entrée en vigueur (le 1er juillet 2022), l’Insee avance le chiffre de 64 000 demandes ayant abouti. Un nombre sans commune mesure avec celui des 3 000 dossiers annuels encombrant la Chancellerie. Pour en savoir plus, j’ai décidé de mener une nouvelle enquête, aidé par le porteur de cette loi en personne, le député Patrick Vignal, qui n’a pas hésité à lancer un appel aux mairies des villes de plus de 20 000 habitants, en leur diffusant le questionnaire que j’ai établi. Le principe est ici d’essayer d’appréhender l’application de cette loi sur le long terme, de savoir si le nombre communiqué par l’Insee n’a pas été gonflé par celui des demandeurs attendant depuis longtemps cette occasion pour se précipiter dès qu’elle leur a été offerte, pour amorcer ensuite une décrue, une fois cette population satisfaite, et une « vitesse de croisière » nettement inférieure ? Il s’agit ensuite de savoir qui sont ces demandeurs : des urbains ou des ruraux, des hommes ou des femmes, des jeunes ou des seniors. Et de savoir aussi quels types de noms cette loi favorise : les noms simples ou les noms doubles ?

Plusieurs jours durant, les questionnaires complétés sont arrivés des six coins de l’Hexagone comme des territoires d’outre-mer. Les cinquante premiers résultats dépouillés, émanant de villes (voir la liste ci-dessous) à la fois géographiquement très dispersées et aux profils socio- démographiques suffisamment variées (qu’elles aient on non une maternité sur leur territoire), m’ont rapidement permis de constater que les tendances dégagées variaient fort peu et ne cessaient de se confirmer, au fil de leur exploitation.

Les tendances tirées de notre enquête

Pour ce qui est de l’étalement, après avoir noté que 4,8 % des procédures entamées avaient été abandonnées, on constate que deux tiers des demandes ont été faites au cours des six premiers mois (entre le 1er juillet et le 31 décembre 2022). Le rythme de croisière semble donner une jauge aux alentours de 650 demandes par mois, soit près de 8 000 par an soit plus du double du rythme passé et un peu plus d’un Français sur 9 000.

Pour ce qui est des profils des demandeurs, ils sont majoritairement des femmes (60 %) et en grande partie des jeunes : plus de la moitié des demandeurs sont âgés de moins de 30 ans, tandis que seulement 4 % sont des personnes âgées de plus de 60 ans.

Pour ce qui est enfin des noms choisis, trois quarts des cas ont consisté au remplacement d’un nom par un autre, moins d’un quart a généré un double nom et seulement 1 % de demandes a abouti au retrait (voire exceptionnellement à l’inversion) d’un des deux noms composant un double nom porté en application de la loi Gouzes.

Le succès est indéniable et prouve que la loi correspond à un besoin réel, avec d’un côté des personnes qui étaient en attente et d’un autre une durabilité de son utilisation, même si celle-ci doit aller décroissant. Si la Chancellerie s’est vue délestée, les services d’état civil ont récupéré une surcharge de travail non négligeable (avec la réception et le traitement des demandes, la convocation des demandeurs et la gestion – assez lourde – des mentions marginales en découlant).

L’Insee prévoit la publication d’une étude pour le début de 2024, qui devrait confirmer nos résultats. Des questions importantes demeurent : elles portent sur les noms de famille eux-mêmes. D’abord sur ceux que l’on a choisi d’abandonner, avec peut-être aussi ici la récupération de cette procédure simplifiée par des Cocu, Dutrou, Wrzinckz et autres porteurs de noms ridicules, déshonorés ou à consonance étrangère. Sans oublier la question des noms que ces opérations permettent de récupérer, avec notamment l’effet – certes limité, mais tout de même réel – de s’offrir un nom valorisant : l’enfant de M. Dupont et de Mlle de Rochechouart devenant Dupont de Rochechouart ou tout simplement de Rochechouart.

Mais reste à savoir ce qu’il en est du nom de famille, fragilisé après avoir essuyer un coup violent et décisif, lui faisant perdre sa sacro-sainte immutabilité et risquant de le gadgétiser. Cela, à l’heure où sa place dans la vie sociale et professionnelle est largement remise en question, avec de profondes évolutions à bien des égards, à commencer par son effacement de plus en plus net au profit du prénom. C’en est fini de la force tranquille du nom, immuable et intouchable. Face à cette libération, la population des généalogistes devra savoir s’adapter.

Les 50 villes qui ont contribué à l'enquête

Les 50 premières villes qui ont répondu au questionnaire sont les suivantes : Alençon, Amiens, Antibes, Avignon, Bourg-en-Bresse, Champs-sur-Marne, Chartres, Châteauroux, Chaumont, Fécamp, Gagny, Gradignan, Hérouville-Saint-Clair, La Rochelle, La Tampon, Lambersart, Limoges, Lunel, Lunéville, Maisons-Alfort, Marcq-en-Barœul, Marignane, Marseille (XIe et XIIe), Mérignac, Montbéliard, Montceau-les-Mines, Montgeron, Muret, Nice, Oyonnax, Petit-Quevilly, Pierrefitte-sur-Seine, Poitiers, Rambouillet, Reims, Rennes, Saintes, Saint-Joseph, Saint-Raphaël, Sannois, Sète, Sotteville-lès-Rouen, Tarbes, Troyes, Vélizy, Verdun, Vernon, Vertou, Villenave-d’Ornon, Villeneuve-la-Garenne.

Un grand merci à Patrick Vignal et aux personnels des services d’état civil des mairies participantes, pour leur collaboration.

 

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