Dossiers

Les recensements de population

2.png

Recensement de 1906, Combrit (Finistère), 6 M 228.
Crédits
Archives départementales du Finistère

Qu’est-ce-que c’est ?

Compter la population est une pratique très ancienne. Déjà sous l’Empire romain, on dénombrait les personnes afin de répartir les impôts. Cela fait partie des premières mesures prises par l’assemblée révolutionnaire, essentiellement pour des raisons de police, d’ordre public et de réquisitions d’hommes pour l’armée. Plusieurs lois, décrets et circulaires (22 juillet 1791, 11 août 1793, 10 vendémiaire an IV, 26 floréal an VIII, 8 pluviôse an IX) se succèdent, avec plus ou moins de succès quant à leur application.

Il existe donc quelques recensements pour cette période, notamment en l’an IV et l’an VIII, ainsi que d’autres plus locaux à l’initiative des préfets. Mais ces listes ne sont pas exhaustives et ont été élaborées (puis conservées) de façon assez inégale.

Une procédure de recensement exhaustif et plus régulier, qui existe encore aujourd’hui, se met en place progressivement au cours du XIXe siècle. Il ne s’agit plus vraiment d’élaborer un outil de surveillance de la population (qui plus est difficilement exploitable) mais d’avoir un outil administratif permettant de répartir les diverses charges (impôts, conscription, dotation financière des communes, ou encore de nos jours pour aider à définir des politiques de transports, d’équipements, le mode de scrutin, etc.).

Les bonnes années

Les ordonnances royales des 16 et 23 janvier 1822 introduisent la notion de périodicité : la population sera recensée tous les cinq ans, soit les années finissant par -1 et -6. Seules les périodes de guerre viendront troubler ce rythme régulier jusqu’en 1946 : le dénombrement de 1871 (guerre franco-prussienne) est reporté en 1872 ; 1916 et 1941 n’ont pas lieu pour cause de guerres mondiales.

Après 1946, les opérations s’espacent petit à petit, tandis que la population ne cesse de croître à un rythme régulier : des recensements ont lieu en 1954, 1962 (1961 en outre-mer), 1968 (1967 en outre-mer), 1975 (1974 en outre-mer), 1982, 1990 et 1999. Un nouveau mode de recensement est mis en place depuis 2004 :

  • pour les communes de moins de 10 000 habitants : de manière exhaustive, par cinquième de la population. On a donc un recensement complet sur une période de cinq ans ;
  • pour les communes de plus de 10 000 habitants : une enquête annuelle est réalisée auprès d’un échantillon de 8 % de la population. Au bout de cinq ans, les résultats du recensement sont extrapolés à partir de l’échantillon de 40 % obtenu.

Le classement

Derrière le « recensement » se cachent donc en fait une procédure… et plusieurs documents créés et utilisés à cette occasion. Des feuilles de ménage (par foyer) et des bulletins individuels sont distribués aux habitants ; une fois récupérés par les agents recenseurs, une liste nominative est établie. C’est cet état nominatif ou liste nominative qui est conservé aux Archives, parfois avec des lacunes car longtemps ces documents n’ont fait l’objet d’aucune instruction de conservation. Quant aux feuilles de ménage et aux bulletins individuels, très volumineux, ils n’ont malheureusement pas été conservés.

La liste nominative est établie par la mairie en deux exemplaires (obligatoire jusqu’en 1946) :

  • l’un est conservé par la municipalité ; on le trouvera dans les Archives communales en série F ;
  • l’autre est envoyé à la Préfecture ; versé ensuite aux Archives départementales, il est conservé en série L pour la période révolutionnaire, puis en série M pour la période postérieure.

La liste nominative se présente sous la forme d’un grand tableau, dans lequel sont identifiés, selon un ordre généralement géographique (rue / maison / foyer), tous les habitants d’une commune. En tête et fin de liste, on trouve généralement les instructions faites aux maires, les statistiques de population, voire un index des lieux dans leur ordre d’apparition dans le tableau.

Dix colonnes

Prenons l’exemple du recensement de Combrit (Finistère) en 1906. Le tableau compte alors 10 colonnes :

  1. lieu-dit. Souvent le recensement commence par le bourg puis rayonne vers les villages ou quartiers périphériques. Ici il s’agit d’un lieu particulier : le phare (de Sainte-Marine) ;
  2. numéros de maison, ménage et de l’individu dans le recensement. Attention : sauf dans le cas d’une grande ville, il s’agit le plus souvent non pas de la numérotation officielle des maisons (assez fluctuante et tardive), mais du comptage dans la liste nominative. Très souvent, maisons et foyers sont distingués les uns des autres par des accolades (voir ci-dessous) ou des lignes séparatrices. Ici, l’agent recenseur n’a pas pris la peine de reporter les numéros des maisons, ménages et individus ; il a par contre mentionné le nombre d’individus dans le foyer ;

recensements2.png

Recensement de 1851, Combrit (Finistère), 6 M 227.
Crédits
Archives départementales du Finistère
  1. nom. L’abréviation “id” est souvent utilisée pour ne pas répéter l’information ;
  2. prénoms. Là encore, les prénoms fréquents (Marie, Joseph, Jean, Baptiste) sont souvent abrégés ;
  3. année de naissance ;
  4. lieu de naissance ;
  5. nationalité ;
  6. position dans le foyer, par rapport au chef de famille. Ici, Henri Bourhis vit avec sa femme, sa fille, son gendre et sa petite-fille. Une femme peut tout à fait être chef de famille lorsqu’elle est non mariée, veuve ou séparée.
  7. profession. On découvre à travers les recensements, notamment en ville, toute une panoplie de petits métiers aujourd’hui disparu. Ici Henri Bourhis est logiquement gardien du phare, sa femme et sa fille sont ménagères et son gendre est marin-pêcheur.
  8. employeur. Cette colonne indique généralement si l’individu est son propre patron, ou le nom de son employeur. Dans le cas présent, elle devrait porter la mention « État » puisque le personnel des phares dépend du ministère des Travaux publics.

Noms et prénoms sont bien sûr toujours indiqués, de même que la profession (à partir de 1836). En revanche, la présence des autres informations varie selon la date à laquelle le recensement a été effectué :

  • L’âge est indiqué de 1836 à 1901, puis c’est l’année de naissance (normalement plus précise) de 1906 à 1962 ;
  • Le lieu de naissance n’est inscrit que pour les recensements de 1872, 1876, puis de 1906 à 1936 ;
  • La nationalité figure en 1851, 1872, 1876 puis à partir de 1886 ;
  • La position dans le foyer est indiquée à partir de 1876 ;
  • L’employeur est mentionné de 1896 à 1931 ;
  • Le culte n’est renseigné qu’en 1851 ;
  • Maladies et infirmités n’apparaissent explicitement que dans le recensement de 1851, mais les maires sont invités à l’indiquer dans la colonne « Observations » entre 1856 à 1876, de même que tout autre renseignement « utile ». On y trouve ainsi des « en voyage », « orphelin », « condamné », « mendiant », « enfant naturel », etc.

Comptés à part

Les habitants listés dans un recensement sont ceux qui résident habituellement dans la commune, même s’ils sont absents (gendarme en tournée, négociant originaire de la commune mais en déplacement lors du passage de l’agent, les religieux d’un hôpital ou d’une école dans la commune, etc.). En revanche, les militaires et marins en garnison, les malades hospitalisés longtemps, les personnes en prison ou encore les pensionnaires, ne sont pas relevés nominativement, mais uniquement comptabilisés et ajoutés comme « comptés à part » dans les totaux des dernières pages. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à consulter les instructions du recensement qui figurent sur la page de garde.

Consultables jusqu’en 1975

La consultation des recensements de population fait l’objet d’une dérogation générale (arrêté du 4 décembre 2009) aux délais de communicabilité des archives fixés par le code du Patrimoine. Les listes peuvent être librement consultées, à des fins de statistique publique ou de recherche scientifique ou historique, jusqu’en 1975. Il s’agit de la consultation, et non de la diffusion, notamment en ligne, qui est elle soumise à un délai de 100 ans après la date des documents du fait de la présence de données à caractère personnel (même si certains services d’Archives passent outre cette délibération du 12 avril 2012 de la Commission nationale Informatique et libertés).

Pour l’Ancien Régime

Parmi les dénombrements de l’Ancien Régime en France, citons l’« état des paroisses et feux des bailliages et sénéchaussées de France » en 1328, mais également les nombreux censiers et autres listes de contribuables. Pour le XVIIIe siècle, les rôles de capitation (impôt « par tête » instauré en 1695, qui touche toute la population, excepté le clergé et les personnes extrêmement pauvres), fournissent des informations proches des dénombrements de population du XIXe siècle. Ils sont consultables aux Archives départementales en série B (attention aux circonscriptions administratives qui ne sont pas les mêmes sous l’Ancien Régime) voire en archives communales en série CC.

Les Archives municipales de Rennes ont mis en ligne les comptes des miseurs, ainsi que les rôles de capitation.


am_rennes_capitation.png


Rôle de capitation mis en ligne par les Archives municipales de Rennes.
Crédits
Archives municipales de Rennes

Des difficultés ? Des astuces !

Les informations déclarées à l’agent recenseur, doivent parfois être prises avec prudence... En compulsant les dénombrements, on s’apercevra par exemple que les femmes sont bien plus encore que dans l’état civil, déclarées sans profession ou ménagères à tout va. Contrairement aux instructions, elles sont par ailleurs souvent enregistrées sous leur nom d’épouse au XXe siècle. L’orthographe des noms de familles « non locaux » est parfois assez aléatoire.

Dans les grandes villes, le recensement est réalisé par canton ou arrondissement. Pour les longs boulevards et avenues, il arrive que les côtés pair et impair de la voie ne se suivent pas et que quelques rues soient intercalées au milieu. Si vous êtes perdus, il ne faut pas hésiter à… prendre un plan et se méfier des rues renommées, dont on retrouve généralement la trace en faisant une recherche sur Internet.

Parfois, le recensement n’existe tout simplement pas ! C’est le cas de Paris, où il y a eu un recensement nominatif en 1817… puis plus de liste nominative avant 1926 ! Et dire que les recherches généalogiques à Paris sont déjà bien compliquées… Des opérations de recensement ont pourtant bien eu lieu, mais uniquement au moyen des feuilles de ménage et des bulletins individuels qui ont été comptabilisés numériquement, mais sans que la liste nominative soit dressée vue la masse d’information à compiler. Paris a été officiellement dispensé de dresser la liste nominative en 1866, liste qui n’avait de toute façon pas été faite pour les recensements précédents.

Ces difficultés mises à part, il ne faut pas hésiter à se précipiter sur les recensements de population, source formidable pour le généalogiste. Voici tout ce qu’on peut y trouver :

  • La profession des individus, à intervalle beaucoup plus régulier que ce que donnent les actes d’état civil ;
  • Le lieu de naissance d’une personne qu’on n’arrive pas à localiser (dans les recensements de 1872, 1876 et de 1906 à 1936) ;
  • Le recensement permet de réduire l’intervalle de recherche pour dénicher un acte de décès difficile à trouver ;
  • Une formidable photographie du foyer à un instant donné. On découvre ainsi les mises en nourrice, les enfants de l’assistance publique hébergés, les domestiques (y compris pour les familles non fortunées), la proximité des grands-parents, des oncles et tantes... Voire du futur conjoint.
  • Des maladies et infirmités parfois insoupçonnées.

Liens utiles

Retrouvez ce dossier dans nos publications