Les déclarations de grossesse
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Les documents administratifs qui nous permettent de reconstituer nos généalogies ne sont pas là par hasard. Ils ont été produits parce que des lois et des règlements en ont imposé la tenue : registres d’état civil, listes électorales ou tableaux de recensement militaire. Ces textes réglementaires, en instituant des normes, ont créé des outils généalogiques. Mais pour bien utiliser ces outils, encore faut-il replacer ces mêmes normes dans leur contexte et en évaluer la portée. Les déclarations de grossesse – dont les généalogistes aiment tant parler – peuvent constituer de bons outils généalogiques. Mais sous certaines réserves. Car, premièrement ces déclarations ne relèvent pas vraiment d’une norme, deuxièmement l’autorité productrice de l’archive n’est pas facilement identifiable et, troisièmement, l’état de conservation de ces archives est très inégal.
Une série de réserves à observer
Pour commencer, tordons le cou à une affirmation trop largement répandue. Contrairement à ce qu’on lit souvent, la déclaration officielle de sa grossesse par une femme célibataire ou veuve n’était pas obligatoire. Cette femme n’encourait pas la peine de mort simplement pour ne pas avoir fait de déclaration. Pour le comprendre, il faut revenir sur le texte à l’origine de ce dispositif, l’Édit d’Henri II de février 1556. L’Édit prévoyait la peine de mort contre les femmes qui, ayant caché leur grossesse et leur accouchement, étaient convaincues d’avoir laissé périr leurs enfants sans recevoir le baptême. Le cumul de ces circonstances : dissimulation de la grossesse, accouchement clandestin, mort du nouveau-né non baptisé, donc non déclaré, créait la présomption d’infanticide, crime puni de la peine de mort. En d’autres termes, on présumait que si elle avait caché sa grossesse c’est parce que dès le départ cette femme n’avait pas eu l’intention de garder l’enfant. Car l’Édit avait pour premier objectif de lutter contre les pratiques abortives et l’infanticide. Dans son Traité de la séduction considérée dans l’ordre judiciaire (1781), Jean-François Fournel explique qu’une fille qui est en mesure de présenter son enfant sans pour autant avoir déclaré sa grossesse ne tombe pas sous le coup de l’Édit. L’avocat au parlement ajoute même que si le nouveau-né était mort mais qu’il avait été baptisé et inhumé en terre sainte, la mère n’aurait rien à craindre.
L’esprit et l’usage de la loi
Analyser le texte de l’Édit d’Henri II à travers le prisme de nos mentalités du XXIe siècle est stérile. Pour commencer, plus que le texte lui-même, ce sont les commentaires qui en ont été faits du temps de sa validité qui sont intéressants. Et plus encore c’est la façon dont les femmes se sont approprié le dispositif et l’usage qu’elles ont pu en faire qui importent. C’est par là que nos généalogies s’enrichissent.
L’Encyclopédie définit le recèlement de grossesse comme le fait qu’une fille ou femme cèle sa grossesse pour supprimer ensuite le part (le part signifiant l’enfant dont la mère est enceinte ou dont elle vient d’accoucher). On voit bien que l’infraction poursuivie par l’Édit n’est pas l’absence de déclaration mais bien uniquement la dissimulation dans le but d’avorter ou de faire disparaitre l’enfant. On lit dans le même dictionnaire : « Suppression de part, est lorsqu’une fille ou femme cache la naissance de son enfant, ou le fait périr aussitôt qu’il est né, soit en le suffoquant, soit en le jetant dans un puits, rivière, cloaque ou autre endroit, pour en dérober la connaissance au public ». L’Encyclopédie précise encore : « On renouvelle de tems en tems la publication de cet édit, & depuis il y a eu plusieurs exemples de femmes pendues pour avoir tué leurs enfans ». En fait la loi de 1556 prévoyait que le texte devrait être lu, non pas « de temps en temps », mais tous les trois mois par les curés aux prônes des messes paroissiales. Louis XIV dut le rappeler dans sa déclaration du 25 février 1708. Mais il semble bien que les prescriptions se soient atténuées au fil du XVIIIe siècle. Louis-Sébastien Mercier écrivait dans les années 1780 : « L’édit de Henri II est tombé en désuétude ; et sur cent filles qui accouchent clandestinement, à peine y-en-a-t-il une qui sache qu’une vieille loi la condamne à la mort pour n’avoir pas révélé sa grossesse ». Notons au passage que l’auteur du Tableau de Paris fait un raccourci sur la véritable teneur de la loi. Mais l’observation de la dilution de prescriptions surannées est patente.
Reste, et c’est bien le plus important pour les généalogistes, que la déclaration de grossesse s’était muée en instrument servant à désigner le géniteur et donc un moyen de droit efficace lors d’un recours contre le séducteur indélicat. C’est précisément en cela que la déclaration de grossesse peut nous permettre de développer une généalogie apparemment en impasse. Car sous l’Ancien Régime les choses étaient radicalement différentes de ce que les législateurs de la Révolution ont élaboré, au nom de la liberté individuelle, pour aboutir à la prohibition de la recherche de paternité édictée par le Code civil. La mère célibataire s’est alors trouvée dépourvue de tous droits, et pour longtemps. L’ancien droit avait une autre approche. Il reconnaissait la possibilité à la femme abusée de faire valoir ses droits en admettant largement les preuves susceptibles d’établir la filiation paternelle. Non sans excès inverse comme l’évoque Marie-Claude Phan.
Il en va un peu des déclarations de grossesse comme du serment de la parturiente recueilli par la sage-femme, confirmant l’identité du présumé père « lors des plus grandes douleurs de l’enfantement ». Le formalisme de la rédaction de l’acte, la présence de magistrats, risquent fort d’être mal interprétés depuis notre poste d’observation à plus de deux ou trois siècles de distance. Il ne faut pas se méprendre, ce ne sont pas des aveux qui sont extorqués, mais la possibilité de porter une accusation qui est offerte. Dénonciation qui aura valeur de preuve lors d’un procès, le curé pouvant inscrire le nom du père ainsi désigné dans l’acte de baptême. Pas de contresens, la morale n’est pas l’enjeu. Ou alors si elle intervient, c’est en ce qu’elle consiste à contraindre un homme léger à assumer ses responsabilités. Non, l’enjeu est d’abord financier. Un présumé père est désigné. Il pourra plaider sa cause par la suite et tenter de démontrer qu’il ne peut en aucun cas être le géniteur. Mais dans un premier temps il est astreint à une provision et à payer les frais de gésine. Il pourra par la suite être condamné aux frais d’éducation et d’alimentation de son enfant naturel, à l’exclusion d’autres droits toutefois.
Donc, première idée à garder à l’esprit du fait de son impact sur nos recherches, la déclaration de grossesse des femmes célibataires ou veuves n’avait rien d’obligatoire. On ne peut pas la considérer comme une norme systématiquement appliquée et donc comme un outil généalogique universel. Notre ancêtre, future mère célibataire vivant sous l’Ancien Régime, qui comptait bien mener sa grossesse à son terme, au vu et su de tous, n’avait aucune raison d’accomplir la formalité. Si ce n’est par précaution. Ou si ce n’est surtout pour en faire un autre usage. En effet la déclaration constituait aussi une voie légale, un commencement de recours offert à la femme enceinte contre le séducteur qui refusait d’assumer sa responsabilité. C’est d’ailleurs cet aspect qui fait toute la richesse de ces archives et leur intérêt généalogique. Quand elles existent. Nous y reviendrons.
Deuxième réserve et deuxième idée à garder à l’esprit, l’Édit était imprécis sur la façon d’effectuer cette déclaration. En tout cas, il semblait offrir différentes possibilités, susceptibles d’interprétation, quant aux autorités compétentes. Une fois encore le juriste Fournel nous apporte quelques éclaircissements : « Cette obscurité qu’on rencontre dans l’Édit de 1556, a donné lieu à plusieurs opinions. Quelques-uns ont pensé que la déclaration de grossesse devait se faire devant notaires ; d’autres ont décidé pour le greffier de la Justice du lieu où la fille enceinte était domiciliée. Plusieurs ont prétendu qu’elle pouvait être reçue par des particuliers ; et ce dernier avis a été adopté par plusieurs parlements. Celui de Dijon a admis des filles à prouver qu’elles avaient révélé leur grossesse à des femmes ou à leur confesseur ». Du point de vue du généalogiste, les choses se compliquent. Selon les cas, un document écrit devrait pouvoir être retrouvé soit dans des minutes notariales, soit dans les archives du greffe d’une juridiction royale, voire seigneuriale. La recherche est envisageable. Mais s’agissant de déclarations verbales faites, pour rependre les mots de François Serpillon un autre juriste de l’époque, « à des gens de probité qui, en cas de besoin, pourront en rendre témoignage », les choses sont sérieusement compromises.
Enfin, troisième réserve, même si des déclarations ont été enregistrées dans les greffes des bailliages ou sénéchaussées, les archives n’en ont pas été forcément bien conservées. Les séries complètes, portant sur quelques années, sont en général tardives. Marie-Claude Phan, dont l’article sur le sujet reste une référence, propose une explication pratique. Le formalisme était au départ des plus aléatoires, et rares et tardifs ont été les registres spécifiquement dédiés à l’enregistrement des déclarations de grossesse. Les feuillets libres se perdent dans la masse des autres pièces ou ont disparu avec elles. Par conséquent, même si on pense avoir identifié l’autorité compétente et ses archives, la recherche reste très incertaine.
Un ouvrage de référence
Phan Marie-Claude, Les déclarations de grossesse en France (XVIe-XVIIIe siècles) : essai institutionnel, in Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 22 N° 1, janvier-mars 1975. pp. 61-88.
Toutes ces réserves n’ont pas pour but de décourager les généalogistes. Mais il est important de souligner que si les déclarations de grossesse peuvent constituer un outil généalogique, en revanche l’instrument n’est pas simple à manipuler. Pour autant, quand la recherche aboutit, sa plus-value est considérable. Elle transforme une généalogie en permettant de développer une branche jusque-là sectionnée par la formule définitive « de père inconnu ». La présomption de paternité suggérée par la déclaration de grossesse comble ce vide.
L’enfant né d’une mère célibataire
Nous pouvons donc distinguer deux configurations type dans nos généalogies susceptibles de nous inciter à rechercher une déclaration de grossesse. Rappelons que nous prenons en compte uniquement la période de validité de l’Édit d’Henri II, c’est-à-dire depuis sa promulgation (mais rares sont nos généalogies qui remontent aussi loin) jusqu’à son abrogation de fait en 1791 (promulgation du code pénal). Même si par une curieuse aberration nous pouvons trouver des déclarations de grossesse après cette date.
Première configuration rencontrée dans nos généalogies avant la Révolution, le baptême d’un enfant né d’une mère célibataire. Le curé peut faire mention d’une déclaration produite par la mère ou, sans la mentionner explicitement, désigner dans l’acte le présumé père, mais la plupart du temps il se contentera de préciser le caractère illégitime de la naissance avec la formule habituelle « père inconnu ». Le généalogiste peut alors se demander si son ancêtre ne s’est pas soumise à la formalité de la déclaration, ne serait-ce que par précaution en cas de grossesse compliquée. La recherche menée aux Archives départementales s’orientera donc soit vers les archives judiciaires de la série B, soit vers les archives notariales. Avec la notion de proximité. Proximité géographique d’abord, même si, comme le souligne Marie-Claude Phan, certaines jeunes femmes voulant préserver leur anonymat se rendaient auprès d’une juridiction relativement éloignée pour faire enregistrer leur déposition. Proximité temporelle ensuite, puisque la plupart du temps les déclarations sont déposées vers le septième mois de la grossesse. Ces données de base présentent l’avantage de fournir un cadre à des investigations difficiles.
L’acte de baptême dressé par le curé de Picquigny le 9 mars 1671 entre dans cette première catégorie (AD de la Somme, cote 5Mi/D828, vue 180/310). La petite Catherine, née le jour même, est désignée comme « fille d’un nommé Parguerie garde du corps du roy qui a abusé de Magdeleine Fouache fille ». On imagine difficilement que le curé de cette petite paroisse ait pris seul l’initiative d’inscrire les nom et qualité d’un tel présumé père sans être couvert par une déposition officielle devant un magistrat. En se plaçant du point de vue d’éventuels descendants de Catherine, cette configuration doit inciter à rechercher une probable déclaration de grossesse.
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On l’a signalé, parfois les données sont clairement énoncées par le curé et la voie semble toute tracée. Comme dans ce baptême du 9 février 1772 à Lamarque-Pontacq, aujourd’hui commune du département des Hautes-Pyrénées (cote 2E1/292, vue 3/14). Selon les mots du curé, l’enfant baptisée est « une fille batarde et illégitime à Catherine Domec (…) et de Jean Larré » et il précise qu’il tient l’information d’une déclaration qu’elle a faite le 28 novembre 1771 par devant Me Dembarrère juge criminel de la sénéchaussée de Tarbes « et à moy curé exhibée ». La procédure est clairement décrite. Le curé rédige son acte en fonction d’un document émanant de l’autorité judiciaire qui lui est communiqué lors du baptême. La déclaration a été faite auprès de la juridiction royale un peu plus de deux mois plus tôt, soit à un peu moins de sept mois de grossesse. Tout est dit, il ne reste plus qu’à rechercher l’archive pour découvrir les détails de l’affaire. Hélas, de l’aveu même des Archives départementales des Hautes-Pyrénées, les fonds de la sénéchaussée de Tarbes, à proprement parler sénéchaussée de Bigorre, n’ont pas fait l’objet d’un classement optimal. Par ailleurs de nombreuses liasses sont en très mauvais état. Une recherche qui se présentait sous les meilleurs auspices prend une tournure plus compliquée. Mais au moins les descendants peuvent-ils déjà attribuer un nom au père de la petite fille.
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Il arrive aussi qu’on puisse boucler la boucle. L’enquête commence avec le baptême de Charles-Denis le 13 novembre 1776 en la paroisse Saint-Michel de Saint-Denis. L’enfant est né la veille, il est dit fils de Charles Baron garde-moulin et de Marie Marest (AM de Saint-Denis, cote GG/442/1, vue 87/124). Le nouveau-né est présenté par une maîtresse sage-femme et on apprend que le père est absent. Mais le plus important réside dans la mention que le curé n’inscrit pas. Il n’écrit pas que les parents sont mariés. Et si le prêtre ne l’a pas mentionné ce n’est pas par étourderie, mais bien parce que les parents ne sont pas mariés. Cette situation incite à rechercher une déclaration de grossesse.
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Les archives des greffes des anciennes justices seigneuriales de la prévôté et vicomté de Paris, c’est-à-dire les juridictions de la banlieue de Paris, sont conservées aux Archives nationales en sous-série Z/2. La cote Z/2/4131 correspond aux déclarations de grossesse de Saint-Denis (1757-1790). Souvenons-nous de nos critères de proximité, géographique et temporelle. La naissance étant du 12 novembre 1776 nous recherchons une déclaration aux alentours de septembre/octobre. À la date du 4 octobre 1776, une minute indique : « est comparue au greffe Marie Madelaine Marais âgée de près de vingt-deux ans ». Marie demeure à Saint-Denis avec son beau-père et sa mère. Elle affirme qu’elle est enceinte d’environ huit mois ce qui coïncide avec la date de son accouchement. Surtout elle précise qu’elle est enceinte des œuvres de Charles Baron, garde moulin, fils du nommé Baron, maraîcher à Saint-Denis. Alors, cette jeune femme a-t-elle déposé au greffe par peur des rigueurs de la loi ou pour une autre raison ? Les registres paroissiaux de Saint-Michel de Saint-Denis apportent peut-être un début de réponse. Deux ans après la naissance du petit Charles-Denis, le 10 février 1778, est célébré dans la même paroisse le mariage entre Charles Baron et Marie Marest (cote GG/442/2, vue 8/95). À chacun d’en tirer ses conclusions.
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L’enfant abandonné
La seconde configuration généalogique qui devrait inciter à rechercher une déclaration de grossesse est celle de l’enfant abandonné. En effet, dans la majorité des cas, avant la Révolution (nous parlons toujours du temps de la validité de l’Édit d’Henri II), les enfants abandonnés sont les enfants d’une mère célibataire. Par conséquent cette mère se trouvait dans la situation où, normalement, elle aurait dû faire une déclaration avant d’accoucher. D’ailleurs, selon Louis-Sébastien Mercier, les institutions charitables qui accueillaient les mères, leur permettant d’accoucher dans de bonnes conditions et de leur confier leurs enfants, avaient contribué aussi à faire baisser le nombre des infanticides. Les procès-verbaux d’abandon, quand ils existent, ou les registres chronologiques des admissions des hospices sont la plupart du temps assez laconiques. Il arrive même qu’aucune information ne soit délivrée sur la mère. Mais laissons de côté ce cas insoluble. Posons plutôt comme hypothèse qu’en remontant une généalogie aboutissant à un enfant abandonné par une mère identifiée, il devient pertinent de rechercher une déclaration de grossesse pourvoyeuse d’informations sur le père.
Cela pourrait par exemple commencer dans les archives hospitalières de l’Hôtel-Dieu Saint-Didier de Nevers, dans le registre des enfants exposés ou reçus par le bureau de l’hôtel-Dieu (1758-1778) qui conduirait à consulter le baptême de Claude, « fille naturelle, le père inconnu, de Anne Darchy » le 25 octobre 1766, paroisse Saint-Trohé de Nevers (AD de la Nièvre, cote 4E194/53, vue 289/343). La configuration incite à rechercher une déposition dans le registre des déclarations de grossesse. Elle y figure effectivement à la date du 12 août 1766 (cote 2B815/2, vue 33/53). Devant le procureur général du bailliage et duché pairie de Nivernais, Anne Darchy précise son état civil (elle a 23 ans, elle est native de Nevers). Elle déclare surtout qu’elle est enceinte des œuvres du nommé Louis Taureau « avec lequel elle a eu un commerce charnel quoiqu’elle sut bien qu’il était marié et que même il avait chassé sa femme de chez lui par rapport à elle ». En marge de cette déclaration une mention a été ajoutée par la suite : « accouchée d’une fille le 25 octobre, portée le 28 à l’Hôtel-Dieu sous le nom de Claude ». Pour compléter le contexte et la galerie de personnages, on peut noter que la marraine de la petite Claude était une certaine Claudine Taureau. Quelques documents officiels et, déjà, une histoire commence à s’écrire.
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Mais une fois encore, entre la théorie et la pratique il y a un fossé. À nouveau le point départ est un abandon, à Paris. Le numéro matricule de l’enfant, Nicolas Antoine Mouchy, trouvé dans le répertoire d’admissions conduit à la consultation du registre chronologique des admissions et au dossier individuel de l’enfant. Le dossier contient deux pièces, un extrait de baptême et un procès-verbal de réception (Archives de Paris, cote D2HDEPOT/ENFANTSTROUVES_127). L’extrait est tiré des registres de baptême de la paroisse Saint-Laurent de Paris, ces registres partis en fumée en 1871. C’est donc une pièce inestimable. Né le 4 avril 1763, l’enfant est le fils d’Antoine Mouchy, jardinier, et de Catherine Demoulin. Les parents sont domiciliés faubourg de Gloire (faubourg Saint-Denis) paroisse Saint-Laurent. Le procès-verbal, dressé par un commissaire au Châtelet de Paris, date du 5 avril, jour du baptême.
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Comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner, le fait que les parents ne soient pas dits époux dans l’extrait d’acte de baptême permet de déduire qu’ils ne sont pas mariés, et donc que Catherine Demoulin était dans la situation de faire une déclaration de grossesse. À Paris la démarche s’effectuait auprès des commissaires au Châtelet. Des investigations étaient envisageables, compte tenu de la localisation du supposé domicile, mais elles se sont révélées infructueuses. Pourtant la déclaration existe et, soyons honnêtes, elle était impossible à trouver sans un travail effectué pour de toutes autres raisons que cette généalogie Mouchy. Ou alors il aurait fallu déployer toute une combinaison de déductions assez improbables. En effet la localisation des parents à Paris s’est révélée être une domiciliation de complaisance. Catherine Demoulin (Desmoulin) est de Saint-Denis et c’est au greffe de cette justice qu’elle a déposé sa déclaration le 26 février 1763. Enceinte d’environ sept mois elle y désigne celui qui l’a mise dans cet état. Mais, circonstance assez inhabituelle, l’intéressé est présent. Et Antoine Mouchy reconnait devant le greffier « la vérité de ladite déclaration en tout son contenu ». En lisant le texte de cette déclaration, et en essayant d’en interpréter le contexte, on pourrait donc penser que les choses ne se passent pas si mal. Le sort du petit Nicolas Antoine nous a pourtant appris le contraire.
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Une pratique restée dans les mœurs
Pour finir il y a les curiosités. Ces déclarations dont Marie-Claude Phan écrit que l’intérêt « ne réside plus que dans son caractère de curieuse survivance et dans l’attitude mentale qu’elle traduit ». Il s’agit de celles déposées longtemps après que l’Édit d’Henri II fut tombé en complète désuétude. Pour les généalogistes, elles présentent quand même un intérêt, tant qu’elles mentionnent encore le présumé père. On en voit un exemple dans cette minute tirée de la justice de paix du canton de Garlin (AD des Pyrénées-Atlantiques, cote 57 L 2). Le 16 fructidor an V, devant Jean-Baptiste Sarraute juge de paix du canton de Garlin « a comparu la citoyenne Marie Tapou de la commune de Garlin âgée de vingt ans laquelle a dit que pour satisfaire à la loi elle est enceinte depuis sept mois et demi des œuvres du citoyen Noël Boudine ». Nous sommes donc le 2 septembre 1797, à quelle loi veut donc satisfaire cette malheureuse jeune femme ? Aucun texte réglementaire, dans l’étendue de la République française, ne lui en demande tant. L’Édit d’Henri II est caduc depuis des années. Mais nous savons aussi que les premiers juges de paix n’étaient pas choisis pour leurs qualités d’éminents juristes. Après tout, tant mieux ! Ce n’est pas aux généalogistes de leur en faire grief.
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