Grande Collecte, grande attente
J’ai en ma possession, donné par un ami qui l’avait acheté à une brocante, un album remarquablement conservé de photographies prises au camp de prisonniers de Sagan, en Pologne, en 1917 et 1918. Les prisonniers sont des officiers français, photographiés en portrait ou en groupe, dans leurs activités quotidiennes et dans leurs divertissements, y compris quand ils montent une pièce de théâtre. Le tout est intact, il ne manque pas une photographie et elles sont d’excellente qualité, dédicacées pour certaines d’entre elles. Certainement que leur auteur était, dans le civil, un photographe professionnel ou du moins chevronné, du nom d’André Etienne croit-on deviner à certaines mentions.
Ce petit trésor, j’ai décidé de l’apporter à la Grande Collecte organisée par Europeana en vue du centenaire de la Première Guerre. J’habite Paris, je me rends donc vendredi au point de collecte de la Bibliothèque nationale de France-François Mitterrand. Voulant arriver parmi les premiers (il est 10h15), je suis en fait la 23e aurai-je le temps de calculer. L’accueil est chaleureux, une salle d’attente nous a été aménagée dans le hall de la tour Ouest. A l’entrée, on nous donne un numéro (le 153 pour moi) et on nous prévient gentiment : deux heures et demie d’attente. Les sièges sont confortables, des rafraîchissements sont servis, un écran projette des images d’archives de 14-18 prises dans les vingt pays qui participent à Europeana, des discussions s’engagent entre voisins de circonstance qui comparent leurs photos, cartes postales et autres souvenirs. L’endroit est clair, chauffé et bien sonorisé, pas trop de bruit hormis les scolaires qui longent notre coin pour aller visiter l’exposition sur Astérix un peu plus loin.
Trois heures plus tard, mon numéro est appelé. Je passe à l’enregistrement, où on prend mes coordonnées, puis retour à la salle d’attente pour 20 minutes. On m’appelle de nouveau, cette fois pour que je présente mes documents. Mon album est presque trop beau, les contributions sont limitées à quatre documents. La bibliothécaire qui me reçoit (volontaire pour l’opération mais qui s’avoue un peu désarmée pour la sélection des documents, « un déchirement » dit-elle) choisit deux de mes prisonniers costumés, et deux autres vues, extérieures, montrant un cortège funèbre dans le camp. Elle tape une description sur son ordinateur, remplit des cases et me confie à une jeune femme qui m’emmène dans un dédale de couloirs vers l’atelier de numérisation.
Ce n’est pas encore le Graal : il faut encore patienter, un petit quart d’heure, dans la salle de détente des services de reproduction, au milieu des vestiaires, le temps que le contributeur précédent en ait fini. Enfin me voici appelée et j’assiste en direct à la numérisation très professionnelle de mes quatre photos extraites de l’album. Le résultat est remarquable, je regarde ma montre : il est 15h20.
Étrangement, personne n’est énervé ou grognon, en cinq heures je n’ai pas entendu une voix se plaindre, un ton monter. La jeune employée qui me raccompagne jusqu’à la sortie en est surprise elle aussi, et c’était pareil la veille, pour le premier jour de l’opération, lorsque 130 personnes ont été reçues – la BdF prévoyait une affluence moitié moindre -, les dernières jusqu’à 23h (« on n’allait pas mettre à la porte ceux qui sont arrivés avant la fermeture à 20h00 », m’a expliqué l’homme de l’accueil). Pourquoi ce calme et cette sérénité a priori inconcevables en France, et encore plus à Paris ? Il faut croire que les gens sont heureux de contribuer à l’Histoire en faisant partager un petit bout de leur histoire familiale.
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