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Qui sont vraiment les "descendants d'esclaves" ?

Christiane Taubira a récemment évoqué l’idée de "rendre leurs terres aux descendants d’esclaves" via une politique foncière, et cela en réparation de l’esclavage et des confiscations de terres. Sans entrer dans le débat de fond, il est intéressant de poser ici quelques questions qui, via la généalogie, forcent à réfléchir avant d’agir.

À réfléchir à ce que l’on entend par "descendants d’esclave".

→ D’abord le mot descendant mérite à lui seul d’être défini. Entend-on ici se limiter aux descendants directs, aussi bien en ligne masculine et patronymique que féminine : on ne voit guère en effet comment on pourrait traiter ici les uns et pas les autres ? Entend-on "tous les descendants", sans passer par la technique de la "représentation", faisant que si ce droit était ouvert à tout "descendant d’esclave", on pourrait voir en profiter simultanément deux frères, l’un sans enfants, en bénéficiant seul, alors que l’autre en profiterait en même temps que ses fils et ses petits-fils... Entend-on de même prendre également en compte les héritiers ou les ayants-droit, avec les descendants des frères et sœurs d’un esclave affranchi, décédé sans postérité ?

→ Ensuite la définition de l’esclave. À qui doit-on penser ? À tout esclave, affranchi à une date quelconque, sachant que face aux quelque 248.000 ayant été affranchis à la suite au décret Schoelcher, d’avril 1848, on estime qu’environ 500.000 l’avaient été lors de la première abolition de l’esclavage, en 1794, et étaient ensuite restés libres. Pense-t-on ici à tout individu, sachant que l’on a bien sûr affranchi des familles entières, avec souvent un père et quatre ou cinq fils ?

Enfin, raisonnons un peu, au plan généalogique.

Si sur les seuls 248.000 affranchis de 1848, on ne comptait que 100.000 couples ou individus en âge de procréer, on doit s’attendre à avoir aujourd’hui, quatre à sept générations après, des millions de personnes. Des millions d’individus descendants d’esclaves de façon très diverses.

Face à de très nombreuses personnes ayant tous leurs ancêtres contemporains du décret Schoelcher, on en trouverait des légions d’autres n’en ayant qu’un ou deux. Prenons ainsi le cas très représentatif d’Harlem Désir, qui descend par son père d’esclaves à la Martinique et par sa mère de très classiques et très libres Normands et Vosgiens : avec les brassages d’aujourd’hui, ce sont des millions de Français qui comptent un esclave ou davantage dans leur arbre généalogique ! Mme Taubira en a-t-elle bien conscience ?

Espérons que si cette belle et généreuse idée doit recevoir une concrétisation, on aura pris le temps de passer par une phase préalable de travail, pour définir cette notion capitale de "descendant d’esclave". Un type de recherche préalable qui semble obligatoire, mais que l’on a vu cependant plusieurs fois totalement escamoté, lors du vote de certaines lois. Ainsi pour la loi Gouzes, modifiant les règles de transmission du patronyme, où aucune étude ne fut menée sur les divers cas qui allaient se poser et sur la définition et le contenu même du terme "patronyme" : une carence lourde de conséquences, qui obligera à recourir, après-coup, au montage lourd et aberrant de l’éphémère "double tiret".

Avant de leur faire des promesses, il serait bon de commencer par se demander qui sont, en 2013, les "descendants d’esclaves".

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