Des donataires "délirants" : la réponse à notre énigme du 1er avril
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C'est un cas pratique assez classique : un chercheur, après avoir reconstitué une ascendance familiale, envisage de travailler les branches collatérales. Il s’est rapidement rendu compte, après consultation des fichiers de l’INSEE sur le site Geopatronyme et interrogation par nom de Geneanet (cf. encadré ci-dessous), que le patronyme en question, Deliry, est manifestement monophylétique, autrement dit à souche unique, tous ses porteurs descendant de près ou de loin d’un seul et même ancêtre. Fort de ces enseignements, il s’est lancé dans une reconstitution complète de la famille, en recensant tous les porteurs du nom qu’il a pu exhumer des archives et récolter sur les sites généalogiques (Geneanet, Filae, GeneaBank, FamiliySearch, Mémoire des hommes, Salle des inventaires virtuelle, Geneaservice….) pour obtenir plusieurs centaines d’individus et tenter de les rattacher à son arbre.
Fréquence et localisations
Unicité et localisation moderne
L’interrogation des fichiers de l’INSEE sur le site Geopatronyme (site à préférer à l’onglet Ressources > Noms de famille de Filae, pour donner des informations beaucoup plus détaillées), donne des résultats très clairs : vraisemblablement issu d’un toponyme, le patronyme Deliry est rare, donc sans doute monophylétique ; en revanche, aucun pic départemental ne s’affiche vraiment, avec cependant la Marne, où l’on trouve une commune nommée Liry.
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Localisation ancienne
En faisant la classique Recherche par nom dans les arbres de Geneanet (une des six propositions en bas de la page accessible via l’onglet Rechercher > Rechercher mes ancêtres) avec l’entrée d’un nombre minimum d’individus ❶ (afin d’éviter les « orphelins » et « bouts de branches ») et en limitant aux résultats antérieurs à 1700 ❷ – afin d’obtenir les porteurs du nom contemporains des plus anciens registres paroissiaux –, on localise le berceau d’origine à La Ferté-Milon, dans l’Aisne ❸.
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Un résultat qui confirme le monophylétisme et laisse la possibilité de l’origine de Liry, bien que située à une grosse centaine de kilomètres de La Ferté-Milon.
Il trouve en particulier un Édouard, né en 1845, dont il ne parvint malheureusement pas à retrouver le sort… En désespoir de cause, il tente sa dernière chance en entrant “Édouard Deliry” (entre guillemets) sur Google pour avoir la surprise de trouver une référence conduisant à la Bibliothèque généalogique de Geneanet, qu’il avait négligée. Grave omission, car elle regorge de données en tout genre, particulièrement précieuses en généalogie descendante. De retour sur Geneanet, il passe par l’onglet Rechercher pour accéder au formulaire de recherche de la bibliothèque. En entrant le seul patronyme Deliry, il obtient 480 résultats (qu’il va se hâter de visiter !) ; en ajoutant le prénom Édouard, il retrouve le résultat précédemment repéré, sur lequel il se précipite, ouvre en deux clics le document proposé (ci-dessus), point de départ de l’énigme du 1er avril, publiée sur notre site Internet.
Une donation en nue-propriété
La piste semble prometteuse. Voilà un Édouard Deliry, entrepreneur à Saumur, époux d’une Claire Davanne (fille d’un Onésime Davanne) et père d’un Léon Deliry, architecte à Saumur, et d’une fille Claire, encore mineure. Il s’agit d’un acte de donation en nue-propriété avec usufruit, rédigé par Me Achille Dupont, notaire dans la même ville. L’acte comporte de nombreuses dispositions juridiques, mais sa date n’est pas précisée… Qu’à cela ne tienne : on a là de quoi travailler, avec une ville, plusieurs personnages, dont un couple, comptant manifestement au rang de la petite bourgeoisie locale.
Mais surprise : ni Geneanet ni Filae ne permettent d’avancer. Aucun ne livre de couple Deliry/Davanne, pas plus que de Deliry ni de Davanne à Saumur, avec seulement un Arthur Onésime Davanne (1845-1909), Ardennais manifestement sans rapport avec le nôtre… Un détour par les documents originaux, avec passage au peigne fin des tables décennales de Saumur sur le site des AD49, confirmera l’absence de résultat. À n’y rien comprendre… Beaucoup plus troublant : les requêtes effectuées sur Geneanet sur Dupont/Achille/notaire ou Dupont/Achille/Saumur ne donnent rien, pas plus que sur Filae, pour la seconde requête. Mais où donc serait l’erreur ?
Reprenant le document, qui cite de nombreux autres actes, notamment dans les pages voisines des pages 460 à 462 obtenues, l’on tente d’agir de même et l’on se heurte au même problème. Aucun des personnages cités n’est « récupérable » sur un site généalogique… Se pourrait-il que tout soit faux ? En feuilletant, on trouve, quelques pages plus loin (page 468), un acte de donation faite « à un sourd muet ne sachant pas écrire » par un certain Carolin Delamarre, membre de l’institut, demeurant 5 rue Lord-Byron, à Paris. Voilà une identité précise, un prénom rare et un personnage qui n’est nullement anonyme, sur lequel on fait pourtant une nouvelle fois chou blanc, tant sur Geneanet que Filae. De même que sur Google, lorsqu’on recherche un Carolin Delmarre ou un Delamarre, membre de l’institut, en ajoutant qu’un balayage complet des membres de l’Institut, académie par académie, n’en livre aucun ainsi nommé, alors que quasiment tous ont leur article sur Wikipédia.
Des personnages fictifs
La conclusion dès lors s’impose : l’ouvrage dans lequel nous sommes, intitulé Traité pratique des donations entre vifs, entre époux, des partages d’ascendants et des actes qui en dérivent, publié en 1873, présente des modèles de rédactions d’actes notariés, en citant des exemples et des personnages fictifs, tous nés de l’imagination de son auteur, Alexandre Michaux. Un homme que l’on trouve en revanche sans difficulté dans des arbres en ligne de Geneanet : Alexandre Auguste Michaux, auteur de droit et imprimeur, né en 1834 à Villers-Cotterêts et décédé en 1905 à Fère-en-Tardenois, où il s’était marié en 1864. Une ville où l’on trouve, via Geneanet ou Filae, le mariage en 1874, d’un Paul Deliry avec une Claire Marie, ainsi que plusieurs porteurs du prénom Onésime.
Proposée le 1er avril, notre énigme était donc un poisson d’avril généalogique. La réponse à la question « d’où sort-il ? », en parlant d’Édouard Deliry, était par conséquent « de l’imagination d’Alexandre Michaux », qui avait donné à ses personnages les noms de ses voisins.
Bravo aux fins chercheurs
Bravo aux généalogistes qui ont sû déjouer le piège et trouver la bonne réponse, dont voici la liste : Véronique Auvinet, Isabelle Beaudoing, Michèle Berre, Julien Boigné, Michel Cribier, Max Derouen, Frédéric Fournier, Bernard Gerbal, Céline Lecomte, Isabelle Lemasson, Annie Metivier, Philippe Morel, Claude Chantal Pietre-Sauviat, Roland Rateau, Brigitte Thory. Mention spéciale pour Pierre Millard qui a suggéré que "Édouard a péri dans la saumure. Triste fin pour un poisson. Il aurait sûrement préféré mourir dans l'ivresse d'une bonne bouteille de Saumur !"
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Commentaires
joli, bravo; sec comme un
Excès de prudence