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Cédric Dolain : "Notre métier est en train de changer"

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Cédric Dolain, président de Généalogistes de France.
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Une nouvelle circulaire ministérielle est entrée en vigueur en début d’année afin de faciliter le travail des généalogistes professionnels. C’est l’occasion de faire un point sur la situation et l’image de la profession avec Cédric Dolain, président de Généalogistes de France.

Qu’apporte la nouvelle circulaire relative à la procédure d’accès à l’état civil par les généalogistes professionnels ?

Cette circulaire a été renouvelée, non pas parce qu’elle arrivait à échéance, mais simplement parce que l’environnement extérieur de la profession de généalogiste a beaucoup évolué ces dernières années et qu’il était nécessaire de la faire coller aux réalités de notre métier. Donc elle change un certain nombre de choses.

Elle prévoit par exemple une extension de la durée de dérogation de deux à quatre ans. Cela veut dire que lorsqu’un professionnel se voit accorder par le ministère de la Justice une dérogation pour consulter l’état civil de moins de 75 ans, cette autorisation est désormais valable quatre ans. Il fallait désengorger les demandes auprès des tribunaux, puisque le parquet de Paris doit systématiquement donner son autorisation.

La circulaire prend également mieux en considération l’essentiel de nos missions. C’était sous-entendu, mais maintenant c’est écrit : nous intervenons certes dans le cadre d’un mandat confié par un notaire ou toute personne ayant un intérêt direct et légitime, mais également dans le cadre de la loi Eckert sur les assurances-vie et les comptes en déshérence et aussi dans le cadre des successions vacantes qui ont été confiées au service des Domaines. Le périmètre de cette circulaire a été élargi pour être mis en en adéquation avec les textes de loi et la réalité de notre pratique.

Cette circulaire s’adresse-t-elle exclusivement aux généalogistes successoraux ?

Non, elle s’adresse aux généalogistes professionnels, car les généalogistes familiaux, en marge de leur activité principale, peuvent eux aussi être concernés. Quand la loi dit qu’un mandat de recherche peut être donné par toute personne ayant un intérêt direct et légitime, cela les concerne aussi, même si 90 % de leurs missions portent sur des actes plus anciens consultables sans délai. Mais ils peuvent aussi faire des recherches sur des collatéraux et retrouver des contemporains par exemple dans des dossiers de changement de nom, ils ont parfois besoin aussi de produire ces actes-là et de pouvoir les consulter.

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Comment arrivez-vous chez Généalogiste de France à défendre aussi les intérêts des généalogistes familiaux ? Il y a une telle différence entre ces deux métiers que les intérêts ne sont pas souvent convergents ?

Les convergences de nos deux métiers sont réelles, en particulier dans l'accès aux sources. Généalogistes de France a créé un comité d'experts il y a un peu plus d'un an sur ce thème précis. À titre personnel, je suis très attaché à la généalogie familiale, parce que je pense que ce qui nous unit les uns aux autres, c'est d’établir un lien entre les générations et entre les individus. Tisser du lien, c'est ça le pont entre nos deux activités et ça nous rapproche profondément. La généalogie familiale a connu une sévère mutation ces dernières années avec la numérisation des actes, avec la possibilité de faire sa généalogie en ligne. Il y a sans doute un modèle qui est en cours de renouvellement. Je vois des choses qui se créent, qui sont très intéressantes, liées à l’évolution de la société qui va rentrer dans une zone de turbulence, avec la dépendance, le vieillissement de la population. Eh bien, la généalogie peut recréer des liens avec des personnes qui sont en dépendance ou qui sont atteintes d'Alzheimer, proposer des cours de généalogie, c’est permettre aussi à une personne un peu éloignée de sa famille de pouvoir retisser des liens à travers ces activités-là. Généalogiste familial, c'est un modèle qui est en train de se réinventer et je trouve ça plutôt salutaire.

Pourquoi est-ce si important que les généalogistes successoraux puissent travailler en dehors des délais de consultation ? Car il y a parfois d’autres moyens d’arriver à retrouver les gens…

Il y a parfois d’autres moyens, mais la source-mère des généalogistes successoraux, c’est l’état civil. Notre travail consiste à croiser continuellement un certain nombre de sources, mais la finalité de notre mission, c’est quand même de retrouver les gens qui sont vivants et de justifier leurs droits dans une succession. Donc évidemment, l’état civil de moins de 75 ans est absolument impératif, parce qu’au-delà de l’identification des personnes, nous devons aussi certifier qu’il n’y a pas d’autres héritiers. Avoir les bons héritiers, oui, mais il faut aussi avoir tous les héritiers.

Nous engageons notre responsabilité pour assurer une dévolution successorale à la fois exacte, exhaustive et identifiée. Trouver un héritier est une chose, mais s’assurer qu’il n’y ait personne d’autre, c’est un travail considérable qui n’est pas toujours mesurable de l’extérieur. Une fois qu’on a rendu nos conclusions, on peut se dire, beau travail, vous avez relié le défunt à trois ou quatre personnes d’un côté comme de l’autre. Mais on ne voit pas tout le travail qui a consisté à prouver qu’il n’y a personne d’autre. Cela prend généralement beaucoup plus de temps que d’identifier les héritiers.

Les émissions de télévision, les reportages sur les généalogistes successoraux contribuent-ils à redorer l’image de votre profession écornée il y a quelques années par des affaires de faillites ou d’abus de dominance ?

Ces émissions de télé ont montré la réalité de notre profession dans sa globalité. Cela a suscité un véritable engouement, on a beaucoup de candidatures après chaque diffusion, car ces émissions donnent à voir la réalité de notre travail et aussi ses difficultés, notamment dans les dossiers qui peuvent nous envoyer à l’étranger (qui sont de l’ordre d’un dossier sur trois).

Notre métier est en train de changer, c’est l’occasion aussi de le montrer. Sur l’image de notre profession, vous faites référence à des histoires anciennes, qui avaient, je le rappelle, mobilisé toute la profession. Donc je ne crois pas qu’au final l’image de la profession, ait vraiment été écornée par ces affaires. En revanche, elles ont appelé de la part de la profession une réaction qui ne s’est pas fait attendre. Pendant cinq ans, nous avons pris des mesures pour que de telles actions ne se reproduisent pas et elles ne se sont pas reproduites. Ces faits appartiennent heureusement à une histoire désormais révolue avec des faiblesses en termes de contrôle, des faiblesses en termes d’assurance et des faiblesses en termes de déontologie et d’éthique. Et c’est pour ça que nous avons mis l’accent, ces derniers mois, sur la déontologie et sur l’éthique, de manière à mieux accompagner les professionnels dans leur comportement. Le contrôle des comptes existe depuis cinq ans, il est exercé par KPMG qui s’assure qu’il n’y ait aucun dysfonctionnement. Pour une profession non réglementée, ces efforts ont porté leurs fruits. Les membres de Généalogistes de France, qui représente 95 % de la profession de généalogiste, ont pris des engagements très forts, ils sont contrôlés. Après voilà, malheureusement on ne peut pas non plus parler au nom de ceux qui ne font pas partie de Généalogistes de France. Quelques-uns font un peu de bruit évidemment, puisqu’ils sont en dehors du circuit.

Est-ce que votre garantie professionnelle joue fréquemment dans le cas notamment où des héritiers auraient été oubliés ?

L’avantage de faire appel à un généalogiste membre de Généalogistes de France, c’est précisément qu’il a des garanties, tant en assurance responsabilité civile professionnelle qu’en garantie financière. Nous bénéficions du concours de notre courtier en assurance qui est également celui du notariat, LSN (la sécurité nouvelle), avec qui nous avons retravaillé l’ensemble de nos contrats depuis plusieurs années. Cette garantie est actionnée régulièrement, mais cela reste tout à fait marginal : nous traitons plus de 16 000 dossiers par an, l’assurance en responsabilité civile professionnelle est actionnée quatre ou cinq fois par an, et pas forcément d’ailleurs sur une erreur de dévolution. Nous pouvons affirmer que jamais les personnes que nous retrouvons ne pourront être inquiétées alors que le généalogiste est intervenu.

Certains professionnels dénoncent le contrat de révélation. Est-ce que vous envisagez un autre modèle économique ?

Le refus du contrat de révélation est extrêmement minoritaire dans notre profession. Vous avez par exemple un généalogiste à la retraite qui a fait toute sa carrière sur le contrat de révélation et qui, une fois parti, demande sa suppression. Pour ma part, je suis un fervent défenseur du contrat de révélation pour une raison évidente, c’est qu’il est la seule manière de traiter tous les dossiers. 60 % de nos dossiers ne sont pas rentables ! Le contrat de révélation permet la distribution de plus d’un milliard d’euros, il autorise la perception de plusieurs centaines de millions d’euros de recettes fiscales. Ce phénomène de péréquation nous permet effectivement d’agir dans n’importe quel dossier. Si demain on le supprime, à partir de quel montant d’actifs le généalogiste successoral va dire oui, là c’est intéressant, je prends ou bien là, non je vous le laisse, car ce n’est pas intéressant ? Dans mon petit cabinet, un dossier sur dix n’aboutit pas, soit parce qu’on découvre un testament, soit parce que la succession se révèle déficitaire. Mais à partir de quand on ne doit pas prendre de risque ? Dans certains dossiers, des héritiers vont toucher seulement 600 €. À l’heure de l’inflation, du pouvoir d’achat en berne, je pense que notre modèle économique est utile, parce qu’il nous permet de prendre ce risque.

Il y a toujours du contentieux au sujet de vos honoraires…

Sur les 160 000 personnes contractuellement liées chaque année avec nos structures, nous avons à peine une centaine de demandes de médiation. Et toutes les demandes ne concernent pas nos honoraires. On a pris l’initiative de mettre en place le médiateur de la généalogie pour l’ensemble de notre secteur. C’est quelque chose qui fonctionne bien et ça nous permet surtout de faire une grande différence entre les professionnels qui sont membres de Généalogistes de France et ceux qui n’en sont pas. Les cinq derniers rapports annuels du médiateur prouvent qu’un grand nombre de sujets concernent un petit nombre de professionnels et que ceux-ci sont souvent à l’extérieur de notre organisation. Il n’y a pas de profession parfaite.

En revanche, il y a un cercle vertueux à créer et c’est pour ça que tout ce travail sur la déontologie a été fait. Cela fait dix ans qu’on a une charte déontologique. On a pu la renouveler, la rendre plus lisible. On a créé un code d’éthique destiné à guider les comportements de nos membres. On a créé un référent éthique qui va pouvoir apporter des réponses en toute indépendance. On a une commission nationale d’éthique composée de professionnels. Après, tout n’est pas parfait, je le conçois. Il y a encore beaucoup de travail, mais en tout cas, on donne les moyens de faire en sorte qu’il y ait le moins de problèmes possible.

Et la réalité nous donne un autre éclairage : en 20 ans d’expérience, je me suis aperçu que les gens sont finalement assez peu cupides. Ce qui les intéresse c’est surtout le lien qu’ils peuvent avoir avec le défunt et d’autres membres de la famille, c’est d’avoir aussi des réponses sur leur propre histoire personnelle. Donc, finalement, sur cette question des honoraires, il y a des gens pour qui c’est vraiment important et souvent d’ailleurs et c’est toute la force de la liberté contractuelle, ils peuvent négocier au plus juste avec le généalogiste. Ensuite, s’il y a un sujet de conflit, nous avons un médiateur. Je sors d’une médiation conventionnelle avec un client qui n’était pas d’accord sur le montant de nos honoraires et qui au départ discutait même de l’utilité de notre intervention. Et puis finalement, il a reconnu quand même que notre intervention avait été déterminante. On a convenu d’un montant d’honoraires qui ne nous satisfait pas vraiment, mais qui le satisfait un peu plus. Au moins les choses sont entendues, sont actées. Il vaut mieux un bon accord, en toute transparence que de rester comme ça dans une certaine aigreur en disant « ça m’a coûté trop cher ». Mais c’est assez rare. On a assez peu de réclamations. Plutôt des questions sur « où est enterré le défunt ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour le défunt ? »

Généalogistes de France continue à travailler sur les biens juifs spoliés ?

La convention de mécénat, qui avait été conclue avec le ministère de la Culture par mon prédécesseur, concernait six dossiers dans lesquels nous nous étions engagés à intervenir dans le cadre d’un mécénat de compétences, c’est à dire gratuitement. Cinq dossiers ont été rendus au ministère et trois restitutions doivent être réalisées dans les prochains mois. Un dossier n'a pu aboutir. Nous avons pu à cette occasion montrer nos compétences et notre expertise et aussi démontrer qu'il y avait de vraies difficultés à mener ces dossiers.

Nous intervenons parfois dans ce genre de recherche sur demande d’avocats ou de commissaires-priseurs qui procèdent à la vente de biens, parfois à la suite de la restitution d'œuvres. Il faudrait fixer le cadre de cette intervention, l'environnement extérieur et notamment politique a beaucoup changé depuis ces 20 dernières années. On a fêté les 20 ans de la CIVS (Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations), elle a été dotée de nouveaux pouvoirs. Nous ne sommes pas seuls à faire des recherches, les musées du ministère de la Culture en font également sur un certain nombre de dossiers, la CIVS retrouve des ayants droit. Mais ces dossiers sont très complexes, il faut déterminer quels sont les œuvres en question, leur parcours, à qui elles ont appartenu, si elles ont ou non fait l'objet d'une spoliation. Ensuite, il faut relier ces œuvres à leurs propriétaires successifs, puis retrouver leurs ayants-droits. On bute sur de nombreux écueils.

La question de renouveler cette convention se pose, il n’y a pas de décision prise. Nous sommes toujours soucieux de pouvoir démontrer notre expertise et notre engagement d'un point de vue collectif. Mais si nous revenons sur d'autres dossiers, cela s'inscrira dans un autre cadre que le mécénat. Le vrai problème, c'est la rémunération. On a pu effectivement mobiliser une grande partie de la profession, se partager le travail, mais ces dossiers nous ont demandé beaucoup de temps et d'énergie.

Généalogistes de France en chiffres

Cette union de syndicats regroupe environ 95 % des professionnels de la généalogie. Elle comporte 120 membres, dont 18 généalogistes familiaux purs. Généalogistes de France délivre 520 cartes professionnelles permettant de demander des dérogations de consultation de l’état civil. Environ 1 000 personnes en France travaillent dans ce secteur d’activité. Chaque année 16 000 à 18 000 dossiers sont traités permettant de redistribuer 1 milliard d’euros à 160 000 héritiers retrouvés par l’intervention de généalogistes. Le chiffre d’affaire de la profession est estimé à environ 170 millions d’euros en 2021.

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Commentaires

1 commentaire
  • Portrait de Alain Marquès-Verdier

    Merci de ce panorama très clair des métiers du généalogiste.

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